L'Affaire Dreyfus.


On a beaucoups parlé de l'affaire Dreyfus, surtout ces derniers temps, pour dénoncer, avec juste raison semble-t-il, l'antisémitisme. Et bien sûr, cet antisémitisme est dénoncé par la bien-pensance, ceux qui aiment se couvrir de moraline à la manière de la confiture, bien dégoulinante pour être bien visible. On les soupçonne de se faire une image au plus près de ce que l'époque admire pour la chose la plus respectueuse, la meilleur place pour ainsi dire, celle qui est du bon côté, celle qui ne soufre pas le soupçon venimeux d'une entourloupe de basse morale pour un but tout autre. C'est à celui qui va manifester son antiracisme le plus bruyamment du monde... Et il y a concurrence en ce domaine...

L'affaire Dreyfus est devenue inséparable de Zola. On ne peut pas évoquer Dreyffus sans faire immédiatement allusion au « J'Accuse » que Zola publia dans l'Aurore, le 13 juin 1898, au risque de sa vie, semble-t-il, puisqu'il fut retrouvé mort en 1902, dans des circonstances qui n'ont jamais été élucidées.

L'affaire Dreyfus est, pour nous lecteur contemporain de ce qui demeure des opinions, c'est-à-dire de tout ce qui est privé de raisonnement, la dénonciation d'un complot antisémite dont Dreyfus aurait fait les frais, parce qu'il avait pour lui le double tord d'être né Juif et alsacien. Mais, à la lecture du pamphlet de Zola, qui n'est pas une opinion mais une dénonciation, celui-ci ne mentionne pas l'antisémitisme comme origine de l'affaire.

Que dit Zola? Il accuse des officiers de manoeuvrer pour leur ambition personnelle, et en particulier, le lieutenant colonel du Paty de Clam, alors simple commandant. Zola le dit, « il est l'affaire à lui tout seul. », il est « le premier coupable de l'effroyable erreur judiciaire qui a été commise », « c'est lui qui a inventé Dreyfus ». Une erreur judiciaire, provoquée par l'invention morbide d'un simple commandant, pas un complot organisé par des antisémites. Pourrait-on croire Zola partial ? Il n'accuse pas l'armée, mais la honteuse ambition d'un commandant, qu'à permis « l'incurie et l'inintelligence » du ministre de la guerre, du chef de l'état-major, et de son sous-chef. Voilà pour la mise en place des personnages. Zola ne critique pas l'armée; il n'évoque jamais un antisémitisme à l'oeuvre. Il accuse le lieutenant colonel du Paty d'être un imbécile qui « s'occupe aussi de spiritisme, d'occultisme, il converse avec les esprits. » Zola accuse une « démence torturante ». « il n'y eu derrière, que les imaginations romanesques et démentes du commandant du Paty de Clam. »

L'affaire Dreyfus est une affaire militaire, une basse besogne où se mêle l'intrigue, la honte, l'ambition, mais pas l'antisémitisme. L'antisémitisme est une conséquence de l'affaire, non sa cause. Si tel avait été le cas, Zola ne se serait pas privé de le dénoncer.

Les officiers que Zola accuse, ont manoeuvrés sans doute aussi par antisémitisme, mais ce n'est pas la cause de leurs manoeuvres. La cause est encore plus vil parce qu'elle n'est pas de celle des convictions comme l'est l'antisémitisme, mais de l'ambition personnelle, celle d'un seul homme, « un homme néfaste » selon Zola, le commandant Paty de Clam, devenu par la suite, lieutenant-colonel.

Dreyfus est devenu, bien malgré lui, le symbole de la lutte contre le racisme, lui un officier de l'état-major dont l'ambition était de devenir général par des hauts faits de guerre, ordinairement raciste comme peut l'être un militaire de carrière dont le désir est, tout de même, d'embrocher le plus d'ennemi possible, et de pacifier les territoires conquis. Dans les faits d'arme, il n'y a pas de place pour la moraline. Zola a dénoncé un état-major minable, non un état-major immoral. Il n'a pas défendu Drefus parce qu'il est juif, mais parce qu'il fut victime d'un « épouvantable déni de justice. » C'est le procès qui a créé les conditions de l'antisémitisme, non l'affaire. C'est la suite du procès qui a divisé l'opinion publique, cette invention de circonstance, entre dreyfusards et antidreyfusards; c'est du procès que Barrès et ses amis ont inventés l'injure au succès mérité (il faut le reconnaître) de « intellectuel ».

Transformer l'Affaire Dreyfus en procès contre l'antisémitisme, comme le laisse entendre Michel Polac dans la postface de « J'accuse » publiée chez « Mille et une nuit », « mais juif! » dit-il avec le point d'exclamation, est une escroquerie intellectuelle. C'est faire dire à Zola ce qu'il n'a pas publié. Ce « mais juif! », à aucun moment Zola le laisse supputer. Zola écrit qu'il ose dire la vérité. Dans ce cas, il ne se serait pas privé de dénoncer l'antisémitisme de l'Etat-major français. Hors, ce n'est pas ce qu'il fait. Il dénonce l'incurie et la méchanceté d'un officier, non parce qu'il est antisémite, mais parce qu'il est ambitieux, et la lâcheté des autres, qui ont laissés faire.

On ne peut pas dénoncer l'antisémitisme avec des moyens dont peuvent se réclamer les antisémites.

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P.S.: Une petite explication pour servir d'éclaircissage, comme on le dit du travail qui consiste à retirer la plupart des fruits à un arbre, afin de permettre à ceux qui restent, de profiter.

Ce texte, bien qu'il fasse allusion à des propos de Michel Polac tenus il y a dix ans, pour un texte, sinon pas lu, du moins oublié, n'est pas une critique de cet auteur, mais de l'obséquieuse moraline de la bien-pensance autorisée qui brandit l'antisémitisme comme une sorte de réflex pavlovien, envers lequel il est mal venu d'apporter une critique.

Le texte de Zola a toujours été détourné de son sens, pour lui donner l'aspet d'un brulot qui dénonce l'antisémitisme.

La vérité des faits n'a pas besoin de moraline pour être comprise. Malgré ce qu'on veux faire dire de ce texte, il n'en reste pas moins, d'abord, une dénonciation, non de l'antisémitisme, mais de l'injustice.

Cette dénonciation est d'actualité, parce que aujourd'hui, on ne peut pas dénoncer l'injustice organisée par le parti sioniste au pouvoir en Israel sans être traité d'antisémite. De plus, on ne peut pas dire que l'antisémitisme et le racisme ne sont pas des causes, mais des conséquences d'une organisation sociale basée sur la domination et l'esclavage, sans risquer d'être traité de la pire des infamies. La cause du racisme et de l'antisémitisme se trouve dans l'égoisme des nantis, ajoutée à l'angoisse des gueux que ces nantis savent parfaitement utiliser pour leur fin. Le racisme sert d'épouventail a justifier les nantis dans ce qu'ils sont, et les gueux, à s'identifier dans ce qu'ils ne sont pas. C'est ce que révelle l'Affaire Dreyfus.

Derrière cette dénonciation, pour peu que l'on sache transposer Zola dans notre époque, on peut constater que rien, au fond, n'a véritablement changé. L'usage abusif de la dénonciation de l'antisémitisme fait toujours recette. Finkielkraut en est un des représentants les plus tonitruant; c'est même devenu son fond de commerce.

Naturellement, par la critique non dissimulée que je fais de l'anti-antisémitisme bon teint, ce n'est pas de la Choa dont je parle, mais du fond de commerce de gens nourries par l'ambition, qui font croire être en empathie pour les victimes de l'holocauste afin de dissimuler leur racisme et leur mépris pour le gueu. C'est le sens de mon texte. Il ne faut pas en voir d'autre.

Gilles Delcuse


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