Contremémoire


I

Ce jour d’amertume qui souligne les rivages de ma mémoire !

« Vivre, c’est perdre. »
Fernando Pessoa


Les contours cannelés de la vie imposent souvent l’exercice redoutable de dresser son propre portrait psychologique, afin de ruiner les malentendus qui ne manquent pas de faire surface tout au long des tristes années qui forment la trame d’une existence à la fois singulière et banale. Je n’y échappe, moi-même, donc en aucune manière, et c’est ainsi que, tout naturellement bien des choses me sont attribuées alors qu’elles me sont inconnues . Sans doute est-là la marque de ceux qui éprouvent le besoin de médire, afin de flatter leur esprit par comparaison de l’esprit qu’ils vilipendent. Il est possible que cela leur soit utile. Mais, cela présente l’inconvénient d’encombrer de faussetés l’histoire ordinaire de celui qui se trouve ainsi abusivement comparé, c’est-à-dire celui qui se trouve être le sujet réel d’une existence, et non la démarque due à l’insatisfaction. Le présent texte rectifie cette erreur de parallaxe sans alimenter l’inutile curiosité de lecteurs inconvenants ; le désir de l’écriture : seule empreinte possible de mon destin. Ceci n’est donc pas une biographie, au sens où on l’entend ordinairement, mais un imaginaire qui souligne les contours cannelés d’une vie qui pourrait être celle de n’importe qui, c’est-à-dire sans programme établi, ni prétention particulière qui n’aurait que le tord d’apparaître seulement comme un inutile accessoire de décors.
Notre carte d’identité nous le dit, nous sommes tous composés de la filiation d’une famille à des degrés divers. Je n’y échappe pas. Je suis né comme tout le monde, dans le siècle de la médiocrité qui a confondu la transcendance avec la bassesse, l’Art avec la répression, la liberté avec la bêtise, afin de donner aux seconds la justification des premiers, à une époque où il était de bon ton, en France, de dire que la dernière guerre s’est achevée en Août mille neuf cent quarante cinq, alors qu’elle n’était que la première des guerres modernes.
Notre époque oublie le passé pour s’arranger avec son avenir.
La mémoire est ce phénomène étrange qui ne retient du passé que les effluves nauséabonds qui remontent à la tête, comme les poubelles que la mer rejette en bordure de ses plages. Il n’y a pas de souvenirs heureux, sinon ceux que l’on a recouvert d’illusions. Il n’y a que des regrets et de l’amertume ; des douleurs que l’on espère toujours oublier dans un passé qui reste, malgré tout, collé à la mémoire. Tout ce qui a fait les moments heureux, la mémoire les régurgite, jaunis, avec ce goût amer si caractéristique du vomi. Il n’y a pas de moments heureux que la mémoire ne sache retenir sans qu’une impression de ridicule n’en tâche le décor.
Lorsque ma mémoire bave son écume, me vient alors à l’esprit la folie de ceux qui, pour m’être consanguins, forment une famille telle qu’on la rencontre à chaque carrefour de l’existence ordinaire de chacun d’entre nous. C’est ainsi qu’un jour, alors que mon enfance était déjà loin, j’ai pris ce plaisir curieux d’aller à la rencontre de l’inconnue, afin de me saisir du fluide de l’histoire, avec la ferme intention qu’il se coagule dans l’instant précis qu’un quai de gare fusionne, attendant un train qui n’arrivera jamais, afin de tenter réunir les morceaux distraits de ce qu’habituellement une famille formule comme élément de mémoire, mais que je n’ai jamais reconnu véritablement. Aussi, n’ai-je jamais souffert de cette absence. Qu’est-ce qu’une absence qu’on ne ressent pas ?

Je suis né voilà quelques décennies, comme tout le monde, au bout d’une défaite qui a confondu la raison dans l’histoire avec l’histoire de la folie ; et je m’étonne, encore aujourd’hui d’en être sorti avec l’esprit bricolé avec un peu de raison, plutôt que d’avoir été englouti sous forme d’une sorte de dislocation ininterrompu, se cognant avec frénésie contre la paroi de mon asile, ou dévoré par mon instinct héréditaire de prolétaire qui recherche le mérite dans la soumission d’un labeur salarial, et le joug qu’inocule la bêtise dans un ciel qui n’est bleu que parce qu’on ne sait plus le distinguer avec le gris.
Au loin, aussi loin que ma mémoire me le permette, j’entends encore les crédences de la bêtise tintinnabuler dans le fond de mon oreille. Il n’y a là, pourtant que quelques mots que je jette bien vite à l’oubli, et qui n’ont, de ce fait, aucune importance. D’ailleurs, aujourd’hui, c’est seulement ridicule. Espérons que ne viendra pas ce jour qui les rendra effroyable.

Très jeune, déjà, je m’étais emparé de l’épaisse peau d’un loup solitaire afin de m’en servir comme protection. J’avais, avec mes yeux juvéniles, pu observer combien tout le monde se méprise avec une telle abjecte facilité que ç’en devenait risible. Plus tard, j’ai fait la découverte d’autres peaux, toutes aussi utiles. J’ai découvert la peau du serpent, qui permet de louvoyer, de glisser entre les doigts de ceux qui convoitaient ma jeunesse avec cette méprise déroutante qu’on ces voleurs émétiques de confondre leur appétit avec la curiosité qui habillait mes yeux de naïveté. J’ai découvert celle de l’ours, qui m’a offert une chaleur si difficile à rencontrer chez mes semblables. J’ai découvert celle du rat, qui m’a permis de vivre dans les pires moments. J’ai découvert la mécanique des mots en endossant la peau du chat. C’est lui qui m’a donné le sens de la liberté. Et puis, celle de la colombe, tapissée d’un doux duvet blanc. Pour l’amour, bien sûr…
Ainsi armé de ces peaux, j’ai cherché à m’emparer de la rue. J’ai pu sortir couvert pour affronter le gris vide de l’asphalte. Et je me suis promené dans la rue.
On se promène tous, ainsi affublés, dans la rue.
On se promène dans la rue. Il ne pleut pas, alors on croit se promener dans la rue. On croit s’y promener, mais on ne s’y promène pas. On y est. On est comme figé, là, sur un morceau de trottoir. On ne bouge pas, en réalité, dans la rue. Ce sont les positions des bras et des jambes qui donnent cette impression de mouvement, mais, en fait, les bras sont comme suspendus dans le vide, et les jambes sont seulement écartées d’avant en arrière, dans un équilibre instable. La tête n’opine pas ; elle est fixe, sur un cou, fixe lui aussi. Et, malgré le brouhaha d’une rue que l’on imagine animée, c’est en fait, un silence de statut qui parvient à nos oreilles. Les véhicules, eux-mêmes, sont vides, et pourtant, on croirait qu’ils roulent. Mais, ils ne roulent pas. Eux aussi sont fixes, comme pour poser devant un instantané sur image. L’instant d’après, ils n’ont toujours pas bougés. Il y a bien du bruit, les bruits de la rue qu’on perçoit habituellement sans interruption. Mais, ce sont des bruits de silence. Rien ne bouge, alors que notre imagination voit le contraire. Tout est fixe, en plan séquence, mais nous imaginons une histoire. Nous imaginons que tout s’anime, que les trains freinent dans un crissement de métal sur des rails circulaires ; que les voitures roulent sur des routes qui n’existent pas ; que les personnages s’animent dans une ville qui n’a, pourtant, que les dimensions de son décor. On entend bien, parfois, des dialogues, mais ils sont inaudibles et monocordes. Ce sont les dialogues de notre seule imagination, qui font des cercles comme ceux que l’on rencontre dans les bulles aplaties des bandes dessinées.
Chaque peau que l’on endosse nous offre un plan séquence de la rue dans laquelle nous voudrions bien nous promener. Le but de ce jeu est de se mettre nu. Mais, c’est dangereux. C’est pourquoi, on se promène tous affublé de la décoration qui nous camouflera derrière une séduction.
J’ai quand même réussi par arriver jusqu’à aujourd’hui.
Aujourd’hui ne ressemble pas même à ce demain qu’hier a oublié. Il est seulement l’instant que personne ne convoite, pour un demain que tout le monde redoute.
Alors, ça fait alcool.
L’alcool est le demain qu’aujourd’hui ignore, pour mon plus grand malheur. Alors, ça me donne soif de maintenant. Mais, c’est un maintenant sans mémoire ; juste un maintenant pour maintenant. Ca fait vide sur l’instant, parce que ça fait l’instant sans futur. Maintenant sans hier, pour un futur sans passé. Un vide, en somme. Un vide dans l’espace, pour l’espace d’un vide. Sans mesure. C’est temps maintenant sans mesure, parce que sans vide de temps autre que celui qui ne se mesure qu’à son extrême limite, et qu’on traduit approximativement par quelques secondes, sinon même, par aucune. C’est temps de maintenant sans temps. C’est pourquoi il y a malentendu dans les jugements, comme ceux dont j’ai bénéficié dans l’isolation par des petits sans esprit. J’en fais de l’oubli.
Ouverture sur la symphonie Pastorale…
Temps et mémoire.
Dans bien longtemps, beaucoup auront oubliés ce que la plupart ont ignorés. C’est déjà le mouvement de maintenant, dans un perpétuel recommencement. Une histoire inachevée qui n’attend que la fin des temps. Il est vrai que, aujourd’hui n’est rien que la convoitise de demain pour en faire un maintenant insipide, un présent. Un présent sans passé, afin de nier ce futur composé d’angoisses. Il n’y a rien. Rien que ce qui est là. Tout est là. Il ne faut pas en attendre du bonheur. D’ailleurs, il ne fait pas bon vivre à l’ombre du bonheur. C’est bienheureux de l’esquiver. C’est mieux de s’en passer. Surtout demain parce que les portes de la nuit se referment. Elles se referment sur le néant. C’est bien ainsi. A quoi bon les ouvrir sur une absence ? Et pourtant, moi, j’ouvre ma vie sur mon absence. Il y a des auteurs indomptables ; d’autres incompris ; d’autres encore incompréhensibles. Il me reste l’épitaphe.
Rien n’est connu.
Allez, va pour ce maintenant qu’ignore l’histoire, et qui fait les grands drames… D’autres dirons : « va pour la vie. » J’entends d’ici les persiennes habituelles des serres-fesses se refermer sur mon passage avec ce dédain des petites gens, trahissant leur bile envieuse. Non, non, non, ce n’est pas de vie morte dont je veux parler. Va pour la vie signifie va pour l’histoire, hors de laquelle l’humanité perd le sens de son projet. Va pour l’histoire, c’est la vie en mouvement, et non les bornes fictives du temps qu’on rencontre sur les pierres tombales.
Il faut, cependant, ignorer maintenant, à moins d’une migraine insurmontable.

La nuit noire est triste lorsque le jour ne brille pas. Il arrive, même, qu’on y cauchemarde des rêves impossibles, imbibés de sang et de glaires. C’est la nuit noire de mes jours sans soleil. Je pourrais la commencer par « il était une fois », pour marquer l’enfance de ma viande, mais je préfère la finir par la couleur de mes artères. Tout de suite.
C’est sans sommeil, mal d’esprit, que j’ingurgite mes souvenirs, comme d’autres, trop souvent, préfèrent avaler la bile que provoque la famine. Moi, j’ai faim. J’ai faim de tout ce que je n’ai pas vécu. J’ai envie de dévorer mon imagination. Aujourd’hui, je l’ingurgite.
C’est souvent par des petits détails que l’imagination est brutalisée. Les petits détails, ça met en relief le regard. Comme la douleur lorsqu’on oubli la vie.

Nous sommes fait de peau. De peau, de nerfs, de viande. D’aucun diront, de muscle. C’est pareil. C’est de la viande quand même. C’est une viande pleine de muscles, comme on la rencontre dans le sport. C’est justement le côté sexuel du sport, très viande, très muscle. C’est d’ailleurs pour ce côté sexe que le sport a tant de succès. Malgré tout, nous sommes aussi des mammifères. La viande, c’est le sexe de l’espèce humaine.
Et pourtant, il ne fait pas chaud. On penserait que le sexe calorise sa viande. Et bien, non, vous vous trompez. Le sexe n’est plus qu’un organe mou perdu dans les allées d’un musée en ruine. Il ne fait pas non plus froid. Juste un curieux quelque part tiède qui ignore les climats. Il faut que j’ouvre mes yeux, mais c’est comme si j’ouvrais mes misérables volets en bois vermoulu sur un soleil blanc. Il faut que je les ouvre, malgré tout. Et tant pis si je les ouvre sur la tiédeur d’un quelque part inconnu, dans une ville en ruine, après avoir été bombardée par la haine.
Mais,
il n’est pas ici, lieu de tout ce qu’il faut dire ; seulement l’inconvenance de l’esprit de l’auteur. Il faudra s’en satisfaire ou l’ignorer. L’auteur ne redoute que l’inquisition. L’inquisition et l’ignorance, parce que celle-ci est fille de celle là. L’ignorance est universelle, on pourrait croire que sans elle, rien d’humain ne saurait exister. Il n’y a d’universelle que l’humain. Que saurions nous reproduire que nous ne sachions déjà ? C’est en cela que l’ignorance est universelle. A l’ombre de l’ignorance, s’étalent les barreaux des prisons.
L’esprit est court parce que le temps est usé.
Il est seul, le chaos lourd du temps de maintenant. Aucune règle, aucun Archimède avec son point d’appui pour nous venir en aide. Rien. Rien que le temps présent enfermé dans sa perpétuité formelle. Dans cent ans, nous serons devenues des vieilles pierres ; dans mille ans,
des cathédrales. En attendant, moi, je soupire.
Et ma nuit se fait triste et noir. Aucune couleur n’arrive à perturber sa clairière. C’est nuit fauve des temps rancis ; c’est herbe rêche sous langue humide ; c’est nuit fauve par triste ivoire…
Je me trimbale ainsi, de carcasse en carcasse, de trottoir en trottoir, à la recherche d’une lueur d’espoir. Mais, quand j’arrive au bout, naturellement, il n’y a rien. C’est qu’il est rare de rencontrer l’intelligence du cœur et de l’esprit, incarnée dans la même personne. Devrais-je le déplorer ? Le monde est bâtit sur un malentendu, celui de la raison. Mais, nul part existe quelque chose qu’on puisse définir comme étant la raison. C’est seulement une vue de l’esprit. Dans ma jeunesse, la raison avait pour nom la haine. On définit une raison pour satisfaire à l’équilibre nécessaire qui limite l’expansion de la folie par un programme rationnel, non par la sensibilité.
Alors, je voyage avec mes mots. C’est de voyage dont est tissée la trame de l’existence. De voyage. Avec des mots. C’est un voyage vers nul part, sans doute ; mais il commence comme commence les rêves, ourlé avec le tissu du néant, entre deux permutations statiques d’une copulation insensée. Un voyage préhistorique, dans un monde anhistorique. C’est l’effet voyage de la capote qui copule avec la misère. C’est voyage ainsi fait de l’existence.
La rancœur gagne le terrain. C’est territoire. Le territoire fait la géographie de nos rancœurs. Tout est dans la carte. Avant la carte, le monde était démiurge. Apres la carte, il est devenu nocturne. La magie du monde efface la nuit de son passé. Aujourd’hui : somme de la raison et de la magie. C’est comme mécanique. La mécanique du monde dissèque le temps en autant de fragments qu’un incomptable fourni d’humain. La ville est devenue zoo humain. Alors, je me fais os haché avec viande et cervelle. C’est défaut de cerveau…
Il faudrait parfois saisir que sur la Terre, nous ne sommes qu’invités. Nous ne somme pas propriétaire de cet astre. Je parle ainsi de ces gros hideux propriétaires dont le seul amour qu’ils éprouvent pour le prochain est celui de l’exploiter, sinon, le tuer par pure nécessité, sans haine, sans rien que le froid calcul du bénéfice. A quoi bon éprouver de la haine pour de la viande de boucherie ? Et pourtant, là sur ce sol congelé, tous, nous n’y sommes qu’un temps, court et fragile. Maître et esclave. Nous sommes là, comme si nous étions aussi chez quelqu’un qui nous a invité ; un étranger que nous ne comprenons pas. Il y a tant de vie incompréhensible. On dit, c’est nature. Mais, nature, ça ne veut pas dire grand chose, car nature, c’est nous aussi. Nous. On dit nature, pour signifier une différence dans notre appartenance. Comme s’il y avait la nature et nous. Que peut bien signifier cette distinction qui n’apparaît jamais ? Mais, finalement, qui sommes nous ?
La pleine lune n’a qu’une action sémantique sur nos instincts idéologiques. La lune, évidemment, est toujours un astre plein. Plein de terre. D’une terre, aujourd’hui, souillée par quelques pas inscrit dans la légende de ces nouveaux siècles irrévérencieux. Mais, la lune n’est qu’un astre éteint qui n’éblouit que les consciences infertiles propagatrices du fléau de suffisance.
Certaines nuits, la lune est un voyage. Un voyage nocturne qui éclaire l’esprit insomniaque. C’est nuit sans lune pour une lune qui s’ennuie. C’est nuit triste nocturne blanchi. Astre de la mélancolie. Je m’y ballade, quelque fois, sous nuit acide.
Il fait jour sans voyage, pour un voyage incertain. Mon voyage. C’est erreur. Je le voie. Voir, ici, veut dire vrai. C’est comme certain. Et pourtant, rien n’est certain, pas même cette certitude. L’or ébloui, et ça rend aveugle.
J’entends bien ma nuit violoncelle.
Alors, j’allume des feux. Le froid attise le feu. C’est feux, forcément, quand c’est froid. Que faire sinon feu, quand l’âme se restreint à la servitude de sa matière ? Quand c’est froid, le cerveau n’est que cervelle. Le froid fait viande spongiforme. Il reste à rechercher des relations. Mais, lesquelles ?
Il y a quand même quelque chose à rechercher. On dit, c’est de la relation. A tord ou à raison, on y croit quand même, parce qu’il le faut bien, pour pas crever. Car, c’est bien là où nous sommes, d’arriver à vivre pour pas crever. Triste privilège.
La chaleur, c’est relation. Dans la rue, avec un peu de mémoire, ça peut créer relation. Quand c’est possible. N’importe où. N’importe comment ? Qu’importe après tout. Ah, tous ces mots… C’est de relation dont je parle. Parce que je parle, même si là, c’est écrit. Même si c’est pas toujours très droit. Même si ça ressemble à de l’oblique. Je parle. Quand même.
Est-on fait pour s’entendre, nous tous, là, qui gesticulons pour la moindre peccadille… ? Je ne le crois pas. On est sourd. La surdité n’engendre pas l’entendement mais la fureur des bruits. En fait, moi je recherche de l’intelligence là où le sens commun recherche des sentiments. Quelques-uns uns auront compris : Beethoven n’était pas sourd, lui.
J’aurais tout aussi pu bien dire : le Grand Ludwig, tant son seul prénom évoque son universalité. Mais, là, quand même, j’effleure un géni. Qu’écrire d’autre, après lui ? Il reste la haine. Votre haine ? Elle est trop miniature. La haine demande une force autrement redoutable que celle provoquée par les petites méchancetés ordinaires, et pour tout dire, apprivoisées. La haine qui accompagne le géni transcende le monde.
La liste est longue des manquements. C’est naufrage vie ordinaire dans l’enclos de nos misères. Comme chaque jour peut en cracher. C’est vie crachat des manquements. Voilà tout. Alors, j’ai continué mon identité sur ma mémoire abîmée. Et, là, aujourd’hui, maintenant, j’ai bien envie de dire stop. Mais, en ais-je le moyen ? Et que ferais-je de cet arrêt ? Un stop inconnu contre un connu ininterrompu… Bof… Les carreaux de faïence de la cuisine sont si étroits. On aurait bien envie de dire stop pour moins que ça. Tout de même… Tout de même…Mais, que pourrais-je faire d’un stop si étroit, si limité aux carreaux de faïence de ma cuisine. Alors, je me résous à dire non-stop. Je verrais bien, ou pas. Qu’importe. C’est la non-vie exigus d’aujourd’hui qui veut ça, ce sentiment inconfortable qui blase l’esprit.
De quoi parle-t-on quand on veut parler de quelque chose que l’on croie important? Allez-y, dites-le. J’aimerais bien en savourer quelques extraits, comme un parfum si rare qu’on le hume avec délectation, et quoique je n’irais pas jusqu’à me risquer à vous humer, sachant à l’avance l’odeur que vous vous apprêtez à me servir et dont je jugerais qu’elle est fort éloignée de la suave odeur d’un sexe en demande de jouissance. Alors ? Vous voulez encore me parler ?
C’est tard noir par nuit de nénuphar, sans phare, sans nuit, sans rien. J’ai recherché ma nuit noire sur eau glacée, mais, c’est l’esprit vermillon qui a enveloppé mon insomnie de milles crochets d’arpège. Alors, ça forme nuit glaciale sous couvert d’y voir.
Rue Broca, j’ai promené mes petites fesses juvéniles sous les regards indiscrets de mâles en désirs. C’est sexe de bonheur quand on connaît le sexe sous l’angle du désir. J’ai si souvent désiré. De Broca, je suis passé à Pascal, dans un petit bar oublié, pour finir dans ce bien triste quartier qui s’appelait auparavant Latin. C’est la vie, comme j’aime la voir, de Paris. Sommaire et insignifiante.
Déambuler, alors que c’est la guerre… Je n’ai pas envie de répondre. La guerre, c’est un conflit qui concerne deux points de vue antagonistes insurpassables, et non la provocation d’un orgueil souillé par des bruits intempestifs. Ca, c’est pas la guerre. Là, il n’y a que gesticulations en demandent de vermifuge. Toutefois, c’est vie. C’est vie ovipare dans anus cambré. C’est vie quand même.
La guerre ressemble étrangement à l’amour. Ca se fait toujours à deux. Est-ce pour autant qu’il faille voir dans l’amour un conflit détourné ? Le terrain de l’amour n’est pas celui de la félicité, mais celui qui remet en cause toutes les certitudes qui ont servi à bâtir la structure de notre être. Sans doute de là que l’amour n’est jamais vécu que lorsque les corps s’y oubli avec volupté et délectation jusqu’à l’épuisement de l’orgasme.
Et puis, aujourd’hui est arrivé comme d’habitude. Un jour de plus que j’ajoute à mes jours fades qui trament ma vie si dérisoirement quotidienne. J’entends d’ici le sempiternel reproche de mes insipides contemporains, si sûr de leur propre réalité, qu’il ne m’en parvient qu’une sorte d’ânonnement ridicule: et non, je ne me plains pas. Je suis désenchanté ; je n’entends plus, en effet, le chant des oiseaux, ni le bruissement de la rivière. Mes oreilles se sont refermées sur un désert de silence. Que devrais-je entendre… ? Il n’y a plus de son. Il n’y a plus que du bruit ; le bruit des voitures qui crissent leurs pneus sur l’asphalte ; le bruit des mômes abandonnés à leur servitude ; le bruit de la sueur des ouvriers qui peinent à leur ouvrage… La vie est brutale, et sa fin, lamentable. Bruits et douleurs ont envahi la vie jusqu’au silence tombal. C’est le parcours de la médiocre ambiance de la vie d’aujourd’hui.
Alors, ça fait âge vieillesse pour temps fini.
Mais, au fait, qu’elle âge est-il ? N’est-ce pas l’âge de la damnation qui vient de frapper les coups du sort ? Car, être doué de la parole, et ne pas pouvoir influencer sur son propre destin, ressemble à s’y méprendre, à une damnation, à moins d’être enrobé dans une liturgie qui sommeille la raison.
Je relève cette phrase, chez Hegel, ce génial Hegel, cette phrase terrible, d’une profondeur abyssale : « Travailler, c’est anéantir le monde ou le maudire. » Il serait temps d’anéantir le travail.
Aujourd’hui, je n’en peux plus. Je me suis bien noyé dans mes mots, mais ça ne suffit pas toujours à remplir mon atmosphère de la légèreté de l’être qui bleuie le ciel. Malgré le soleil ; malgré mon soleil. Mon ciel s’est obscurci. Mon cerveau s’est assombri. Il me rend malade. Il n’est pas vrai que l’écriture permet d’évacuer je ne sais quel mal. Aucun exorcisme à en attendre. L’écriture, chez moi, est la part maudite de mon esprit. Elle s’impose comme la disgrâce du destin se joue des promesses. C’est comme un mal. Le mal, c’est de se voir vivant, et de ne rien pouvoir en faire. Il faut avoir l’œil averti pour ce genre de chose. Rare sont ceux qui s’en rendent compte. En générale, personne ne voie quoique ce soit sinon ce qui trouble parfois la quiétude de leur quotidien si bien millimétré que la moindre aspérité les fait culbuter dans la terreur. C’est qu’il y a tant à faire, dans la médiocrité. Il y a tant à payer. Pas le temps pour autre chose, ni pour la vie, ni pour l’amour, ni pour les sexes…
C’est la vie réduite à de l’endettement. Régime chantage et contentieux.
Qu’y a-t-il de vrai là-dedans ? Je ne voie rien qui ne mérite de l’attention. Peut-être, cette question : quel âge est-il ?

Alors, je m’enferme dans la solitude. Emmuré dans la solitude, on ne peut guerre que ruminer de sombres pensées. Mais, qu’est-ce qui ferait qu’on s’autoriserait à la rencontre ?
Bien sûr, c’est très agréable, les rencontres. Nos organes se découvrent plein de sève. On y met de l’avenir. Et pourtant, passé les premières émotions, l’avenir de cette rencontre se vide dans le seau du crachoir si rapidement, que l’on se retrouve étonné d’avoir succombé si vite à un désir manifestement si léger. Des rencontres, j’en garde un goût prononcé de scepticisme.
Et puis, tous ces livres, tous ces textes, toutes ces idées… Pour quel résultat ?
Et tous ces gens, à l’allure si sympathique… Comment savoir ce qu’ils cachent dans le secret de leur sourire ? Du désir ou de l’envie ? Du coup, j’en ais mal à une dent. Une prémolaire, certainement. C’est toujours entre deux issues qu’on bute sur un os. Et là, une prémolaire… Pourquoi donc avons-nous des organes qui se rappellent à la mémoire par la douleur ? Qu’est donc cette vie qui nous a fait corps douleur, et si rarement jouissance ? aucun sens. Vraiment, aucun sens.
C’est un non-sens qui produit des enfants. On en met partout, surtout dans les endroits les plus insalubres de la planète, dans les taudis des grandes villes. Allez savoir pourquoi dans la promiscuité et la misère, les sexes ne servent qu’au viol et la reproduction ? Il y a des enfants partout. Là aussi, il est bien difficile de trouver les raisons de la procréation. On dit, il y a de l’amour. Je n’en crois rien. La reproduction biologique n’est pas une condition suffisante à l’amour. Pour que la reproduction transcende l’amour, il faut toute la dimension culturelle qui transforme la procréation en génération. Aujourd’hui : exclu. On y croit quand même.
Et plus tard, pour leur plus grand bonheur, on coince les mômes devant la télé. Comme ça, ils font silence. Un silence de captage. Les vases communicants entre les jeunes cerveaux et l’écran de captage vide tranquillement la matière qui transforme une cervelle en cerveau. Et l’écran de captage s’approprie l’intelligence.
La télé offre de très belles images aux couleurs cathodiques. Alors, on y croit. Forcément. C’est ça qui va pas : on y croit, FORCEMENT.
Même dans leur variante immonde ou stupide, une image cathodique sera plus sûrement cru que la vérité la plus ordinaire rapportée par des témoins qui ont le tord de n’être qu’oculaire. Et puis, on a trop besoin d’oublier le réel pour un réel fictif. On veut croire à l’irréel comme le naïf croit en dieu. Rien d’autre. Juste y croire. C’est le réel cathodique du monde fictif. Un besoin frénétique et inconscient d’oublier sa vie. On fait avec ça. C’est la vie, aujourd’hui, qu’on veut oublier. La vie. On se noie dans ce mensonge. Tant qu’on y croit, tout va bien, tout va bien !
Alors, quand j’observe les quatre murs de ma petite maison, je me dis que je n’ai absolument pas besoin de voyager. Mon voyage, tous ces pays étranges que je pourrais découvrir, ils sont là, dans cette maison, jusqu’au bout de ma nuit. Mon écriture y participe. Le sens des mots m’y oblige. Serrer la phrase au plus près, effacer les idées fausses pour les remplacer par une idée plus juste, voilà, réellement, le contenu de mon voyage. Quel meilleur voyage pourrais-je m’offrir ? Lorsqu’un mot sonne juste à mon oreille, il s’installe dans la durée, ce que ne saurait faire aucun voyage. Est-il possible de trouver la clef qui ouvre un cadenas trouvé trois décennies plus tôt dans les conditions les plus improbables ? Voyager dans la pensée me donne cette clef.
Toute la vie est falsifiée. Ma vie subit aussi cette falsification. La vôtre aussi, même si vous ne voulez pas le savoir. Ca ne dépend pas de vous. Ni de moi. Mais, de supprimer cette falsification dépend de nous tous. Cela dépend du désir que nous mettons dans nos sexes. Chacun bande pour le monde dont il veut espérer de la jouissance. C’est le terrain de l’adversité, celui de toutes les vérités. Artilleurs, à vos organes.
Du béton et des murs ; du goudron et des voitures ; quelques vestiges déjà anciens, là seulement pour montrer un passé irréaliste ; et nous tous, petits pantins désarticulés qui cherchent là dedans à nous frayer un chemin de reconnaissance, alors qu’il y a tout à supprimer. Ah, quelle triste ambition…
On confond la vie avec sa fonction. Fonction vitale parce que professionnelle. Fonction reconnue, non pour sa jouissance, mais pour son sacrifice. On est vivant lorsqu’on est enseignant ou médecin, ou encore infirmier, ou pompier, encore là, un policier ; ici, un maton. Ailleurs, un pédégé… Un pâtissier, peut-être, à moins d’un journaliste… Et la liste est longue. Mais, toutes ces fonctions sont bâties sur le chantier dont sont fait les mirages, comme on bâtit des maisons sans fondation sur des ruines trop anciennes. Alors, tout ça, très franchement, ça tient comment, hein ?
Et il faut bien arriver jusqu’à la « retraite », afin d’y couler des jours paisibles. A l’ombre des maladies…
C’est la vie coulée dans le béton ; beau comme le fer-acier d’un plateau de cantine d’une prison.

Alors, il était une fois, comme ça, un jour qui venait de nulle part ; un jour sans importance, comme l’est la vie de tous les jours ; dérisoire à en faire pousser des furoncles d’angoisse…Un jour qui a recouvert le ciel d’une teinte désabusée…
Il était une fois, là, ma vie, comme noyée dans la mélasse ; sorte d’immondice insignifiante collée à l’asphalte, concurrencée par des milliers de créatures ; d’autres vies perdues de la même manière, dans l’insignifiance de leur origine. Partout, des ventres engrossés et des muscles fatigués. A quoi bon…Il pleut dans ma tête, et je suis mouillé. Mouillé et nu. Les vêtements collés à mon corps, épousant mes formes. L’envie de danser sous la pluie, nu, nu et livré. Je m’amuse ainsi, travesti dans un habit devenu transparent, le corps rempli de désir. Mais, sachez que le monde, depuis longtemps déjà, m’a asphyxié dans son torrent de vérités sordides. Il me renvoi son opprobre sous forme d’un silence assourdissant. C’est un silence trop parlant ; un silence à me crever le tympan ; ça cogne mon cœur de fureur. Hurler : « taisez-vous ». Et, ça s’est tu, dans un silence terrible, un silence de plomb à faire pâlir les sourds. C’est le silence des yeux.
Finalement, les jours se sont succédés au rythme de l’alcool ; le vomi succède au vomi ; la pisse à la pisse. Et cela plait aux peureux. Ils aiment flirter avec le degré zéro de l’existence. Bien sûr, ils n’iront pas jusqu’à y goûter. C’est un flirte, pas un engagement. J’ai tant dormi sous les ponts pour pouvoir témoigner de l’instinct qui habite les cœurs envieux. Pas tout à fait. Sous un seul, celui que l’on qualifie de neuf. Sous le pont neuf où coule aussi la seine. Et où dorment les clochards. Paris est une des rares villes qui possède des ponts sous lesquelles il est possible de mourir de froid. Le Vert Galant ne me contredirait pas là dessus, lui qui domine du haut de son cheval le trottoir de la gueusaille que l’on pourrait croire célestes. Mais les clochards ne sont pas célestes ; ils sont seulement tristes et pleins de vinasse.
Les trottoirs se ressemblent tous. Surtout après le dernier bus. Après le dernier bus, il est tard, et la lumière jaune blafard qui illumine ses fenêtres, frappe les visages qui dépassent des couvertures sombres obscures ; ces êtres à l’allure fatiguée qui traînent allongés sur les trottoirs, enveloppés dans un paquet de chiffons froissés qu’une main négligente leur a abandonnée. C’est la misère ordinaire des trottoirs de Paris, celle qui fait les jours gris et les nuits noires. C’est invisible. Les crotteurs peuvent encore se moucher dans leurs dollars. Il ne risque rien.
Mon esprit s’est égaré un instant sur le pavé lorsqu’un bruit inodore à claqué dans la nuit pesante. Des milliers d’espaces ont ruisselés dans les nervures des trottoirs. Le temps s’effondre dans la rectitude de son éternel mouvement. Je m’accroupis sous ce pont sans saveur. Cette nuit là, j’ai dégueulé plusieurs générations de saletés qui me faisaient poids avant même qu’un atome m’ait conçut.
A l’horizon se profile le carrefour de tous les possibles ; une ligne de fuite qui s’étire de loin en loin, le long d’une rupture tracée au couteau qui détermine un avant décevant pour un après sans espoir. On ferait conscience pour moins que ça.
Pourtant, la conscience est le lieu du vivant qui offre à la logique l’expression concrète de la raison. Sinon, c’est folie, et non conscience. Et si la logique fait la rigueur, ce n’est pas une rigueur monacale vidée de sensibilité. Bien au contraire. La sobriété de la rigueur n’implique nullement la sécheresse de son inscription sur le tableau noir de la démence. Elle ferait plutôt appel à l’ébriété de formules qui ne sauraient trouver son public en deçà. La logique empreinte son expression à la démarche de l’alcoolique, et non au savant calcul de l’ambitieux. Un paquet de chiffons usés est bien plus proche de la vérité que ne saurait en rendre compte la froide logique des biens portants, que tout montre qu’ils portent surtout leurs biens, comme l’égoïste s’alourdie de son propre fardeau au mépris de sa propre vie.
La vie, c’est le lieu de tous les possibles. Elle n’est pas théâtre. Le théâtre est le lieu de l’imagination. Mais, c’est le théâtre qui capte toutes les attentions, et la vie, celle de tous les affrontements. La vie est le lieu convergent des haines, des convoitises et des suspicions. Le théâtre grec s’en voulait la couverture dénudée.
La Grèce antique est véritablement le lieu historique de la naissance de la pensée, cette imagination qui donne au réel sa structure solide par l’apparition de la logique pure. La logique est la substance qui donne au réel sa matière. De cette substance est née la tragédie. Le théâtre antique, véritable lieu et véritable carrefour de la tragédie, est ce qui donne à la pensée sa dimension philosophique ; cette pensée qui contient en projet la fin de la métaphysique, c’est-à-dire, la naissance de la compréhension physique du monde, le lieu de tous les affrontements que l’on identifie au terrain de la guerre sociale, afin de saisir la vérité du réel.
Le réel est réel en tant que produit de l’imagination et de tous les possibles. Il revient à la conscience de donner au réel sa dimension humaine. Mais, le temps n’est pas encore apparu, qui rend possible cette dimension, sinon l’idée que l’on se fait de l’humanité, malgré son image désuète, serait au cœur du débat qui anime le cœur des humains, plutôt qu’être le centre de leur convoitise qui alimente le raisonnement du poison de l’espièglerie.
Le réel de ce qui est vrai est déterminé par la conscience, ce mouvement qui donne au néant l’apparition des dimensions de sa CONCRETUDE. La conscience, en tant que mouvement qui supprime le néant, c’est-à-dire, qui le détermine, qui le réalise, apporte sa dimension concrète. Ici, je préciserais que je parle de dimension comme coordonnées distinctes mais précises dont rend compte les lois de la physique classiques, complétées par celles de la physique quantique. Nous sommes donc toujours dans le discours de la philosophie. La conscience est le mouvement signifié par le temps ; elle est ce qui permet de distinguer la vie dans un système de coordonnées cartésiennes, obéissant aux lois de la physique quantique. La conscience est le mouvement de son apparition formelle ; elle n’est pas une donnée posée là comme quelque chose d’immuable et qui détermine un réel hors de tout. La conscience est ce qui donne au temps un contenu qui se fait. La conscience est le résultat de ce contenu.
L’apparition de la conscience est la véritable mesure du temps.
Et ce qui gouverne cette mesure est la logique. Et la logique n’est que l’aveux de l’ébriété de la raison. Comment ? quel scandale se profile derrière un tel aveux ? Celui que la logique n’échappe pas à la révolte de penseurs iconoclastes. C’est, en effet, après avoir été piétiné par les chevaux de condottiere, après être devenue comme le gravas, c’est-à-dire, être passé par les armes de la critique, après avoir été absorbée par les vapeurs éthyliques de la raison que la pensée rencontre son seul public, le seul qui la comprend, le motif de son expression, que l’on peut formuler de cette façon lapidaire qui présente l’avantage de sa concision : tout a une fin ! L’idée est un moment de la réalité ; et la réalité n’est qu’un moment de l’idée. Comme l’œuf et la poule ne sauraient être indépendant l’un de l’autre. On comprend alors pourquoi j’aime me promener nu dans la rue, seul, par un après midi tiède, le sexe en érection.
Rien n’est vrai, sauf l’ignorance.

II

Sur les rivages de nos illusions, s’étalent les galettes du désespoir.

« Et nox facta est »

Victor Hugo

 

Il faudrait se réveiller un mâtin en commençant par se demander quel jour sommes-nous, celui de nous-mêmes, celui qui a oublié celui d’hier par défaut d’ignorer celui de maintenant. Il le faudrait ; peut-être pour signer un début de sagesse, ou de folie, plutôt que l’habituelle négligence qui nous fait regretter le sommeil, en obéissant, comme l’animal d’un cirque, à notre instinct de soumission qui fait de la lueur du jour un devoir parmi tant d’autres anonymes. On se réveille rocaille ; on se gratte, et puis… on fonctionne enfin ; enfin prêt ; enfin prêt pour un maintenant de soumission dans l’oubli d’un labeur sacerdotal. C’est la loi de la folie salariale, hors de laquelle la vie n’est pas la bienvenue.
Alors, quel jour sommes-nous ? d’où venons-nous ? Depuis quand sommes-nous capable de parler ainsi ? Qui sommes-nous ? Voilà des questions désastreuses. Non ! se demander plutôt : que sommes-nous, nous autres, chacun, enfermé dans la forteresse de nos solitudes respectives… Oublié de tous, ignoré de soi-même… que sommes-nous pour oser se demander qui nous sommes ? La chose ne peut prétendre à l’être, à moins d’un bouleversement iconoclaste. On regarde l’horizon, notre horizon ; celui qui s’étale devant nos yeux singuliers jusqu’à se perdre au bout de la jetée ; On la distingue à peine dans la brume ; on voit bien, quand même, que le chemin sinueux et inégal qui se découvre devant nos yeux inquiets, est encore long jusqu’à la berge ; notre berge ; celle qui nous est échue à défaut de n’avoir pu la choisir, et de laquelle nous gesticulons à défaut de nous manifester. Parce que c’est de cela qu’est constituée notre indétermination ; c’est ce que nous sommes: un chemin infranchissable qu'on n’a pas choisi, mais qu’on ne peut refuser d’emprunter sous peine de disparaître dans les alcôves infernales de la mendicité marchande. Ca forme être par identification, en place de sa vérité, car il n’est rien qu’une vérité ne saurait exprimer, sinon sa propre négation. Nous sommes, mais seulement par défaut de n’être pas, et nous disposons de cette certitude bien fragile pour unique vérité. C’est le contenu du secret de la solitude, la véritable solitude, celle qui dresse des pierres de granit autour de l’argile qui forme la base de notre édifice : nous ne sommes, dans le fond, qu’une forteresse de néant. Et il nous revient, au fond de cet abîme, de trouver les perles scintillantes qui, enfilées unes à unes dans le fil du destin, fait de chacun de nous des étoiles dansantes, ou des loques dignes d’un clochard céleste… Chacun à ses marques, prêt pour une ruée improbable vers l’or de l’espoir.
Nous sommes des êtres de solitude, à la recherche de notre Terra Incognitae, pareil à Christophe Colomb partit à la découverte d’une terre nouvelle, perdue au large d’une Inde imaginaire, plus soucieux, peut-être, de suivre une ambition qui devait lui apporter la renommé, que de suivre la raison marchande d’un empire. Mais le commerce, plus prédateur qu’indigné, s’empara de ces nouvelles terres ; foulure de l’espèce humaine. Alors nous voici, nous, les descendants de cette pittoresque honte, satisfait à la lumière de la consommation dans un supermarché. Excessif plaisir évanescent…
Brouhahas intempestifs lassants… Nous voici parti en quête de la tranquillité. Né sur le territoire de cette illusion, nous ne saurions chercher un autre point de fixation sans prendre le risque d’en perturber le sens. Irréprochable quête. C’est aussi qu’on meurt si vite ; si vite pour rien, avant même que notre rien ne s’emplisse de néant ; mort prématurée d’une vie nourrie plastique ; trois, quatre pièces hachélem, à prix discount ; voilà le nouvel accès à la nouvelle philosophie : travailler afin d’acheter de la tranquillité qu’abusivement, on compare à la liberté, par le libre choix de l’achat d’une petite quantité de cette liberté qui impressionne par son exclusivité, nous croyant unique dans la solitude de ce choix, alors que nous sommes pareils à la goutte d’eau charriée dans un fleuve incontinent.
On travaille pour acheter de la liberté ; le reste du temps n’étant que chômé. A quoi bon le reste du temps, si on ne peut pas acheter de la liberté ? Alors on travaille beaucoup, quand on peut, parce que c’est du temps pour soi ; enfin, on le croit. On en est convaincu puisqu’on reçoit un salaire ; un salaire pour soi, pour un temps à soi. C’est un temps qui a la valeur du salaire. Et tout ce qui n’en a pas la valeur, est rejeté comme du temps perdu, du temps sans valeur, parce qu’il a perdu le sens qu’on lui attribuait avant de l’engendrer ; un temps qui ne dispose même pas d’une saveur d’origine dont le goût se serait perdu, et que l’évocation éveillerait la nostalgie, si ce n’est sous l’impulsion d’une dérive de l’insatisfaction qui nous fait confondre les regrets et les désirs. C’est pourquoi, il ne vient à personne l’idée de partager un salaire qui élève dans l’honnêteté, puisque l’ayant durement acquit. C’est cela qui fait que l’idée de liberté nous est montée à la tête, comme le désir travaille nos organes, bien qu'on en parle en terme d’amour, persuadé que
le travail est au sexe,
ce que la liberté est à l’amour.
On s’achète de la liberté, rien que pour soi, pour soi tout seul, sans partage, sinon celui d’un prêter pour un rendu. Ah ! quelle belle idée de liberté que celle du travail. Ne dit-on pas d’un vît qu’il besogne lorsqu’il pénètre la soumission de ce sexe qu’on ne saurait voir… Nous n’en sommes pas peu fières. Copulation et travail, les deux mamelles de la soumission…
C’est là, tout le secret du droit au travail ; on travaille pour s’acheter de la liberté ; de la liberté pour soi ; rien que pour soi ; de la liberté qu’on achète pour soi-même, pour sa propre vie, pour cette vie que l’on croit être la vie, c’est-à-dire, dans notre perdition qui se traduit par l’égoïsme de l’agonisant : pour sa protection, sa survie. Et on copule pour engendrer la transmission de cet égoïsme.
C’est un temps si déraisonnable que les fous, eux-mêmes, en ont perdu leur raison ; car, tout de même, aujourd’hui, personne n’ignore plus que le travail ne rend libre que depuis peu, depuis que la philosophie Allemande s’est érigée en vérité, en lieu de la raison. C’était probablement par un temps déraisonnable, entre Pologne et Alsace, un jour impossible qui a marqué la naissance d’un siècle qui s’est voulu le vingtième depuis que la folie s’est emparée des temps de l’Histoire, un soir sans mémoire qui a vu le triomphe du christianisme par le supplice de son créateur. C’est un temps qui ne se bonifie pas avec le temps.
Mais, il est loin, ce temps des camps de concentrations issus des pays froids qui avaient écrit, en exergue de leur sordide réalité, que le travail rend libre. Depuis l’époque de ces Dinosaures, une avalanche de liberté s’est abattue sur des randonneurs impénitents, perdant la vie par refus de la gagner ; et d’autres, merveilleuses petites sauterelles, qui galopent de saut en saut, à travers leur employeur respectif, en recherche de conviction, à ramasser les miettes de la vie sous cette forme très spéciale qui consacre son temps dans le labeur fictif, en échange d’une tranquillité de domestication.
Le monde est beau, et il pleut dans la mémoire. Alors, le terrain des idées se couvre de boue. La chasse aux cadavres est ouverte. C’est le prix du silence. La chasse aux cadavres est ouverte, mais, ce sont nos amis, nos compagnes et compagnons, nos familles, qui sont là, étalés, à plat, éteint. Nous nous comportons en gisant. Nous sommes devenues ce que nous avons toujours redouté depuis les temps les plus reculés, les plus enfuit dans la poussière de nos origines : nous sommes devenus notre propre proie. Nous payons le prix de notre silence en nous livrant à notre propre prédation ; nous payons le prix de notre silence afin d’ignorer le prix de toute chose. Nous aspirons tellement à la fermeté de la paix du silence… Paix bénite pour une liberté fossile…
Il y a des terres nouvelles à conquérir ; elles sont là, prisonnières de la cage thoracique de nos insipides croyances, pour le plus grand plaisir des midinettes en manquent de certitudes, prêtes à l’appât, figées par la vision des muscles d’un théâtre de séduction embellit de cuirasses de fer. Mais, il y a un code secret. Evidemment. Il y a toujours un code secret. Que personne ne puisse se l’approprier ! Surtout, ne pas l’égarer. Il est moi, ce code ; seulement moi ; moi, et personne d’autre. C’est cela qui est qualifié d’amour. L’amour parfait. N’être rien d’autre qu’un code qui dépend d’une machine, qui ne reconnaît rien, aucun code, en dehors de soi au point qu’elle s’identifie à soi jusqu’à s’y substituer ; n’avoir rien, ce rien pour code et qui ouvre à l’identifiant duquel il reste l’assistance respiratoire à mettre en place ; alors on y tient, comme on tient à la vie, comme la source même de notre propre vie, et qui fait qu’on est sûr que c’est important. Mais c’est pas important ; c’est trop léger. C’est léger comme le vent, et inconsistant comme l’air. On y croit, cependant, comme on croit en la force de l’air, parce que son absence effraie, parce que c’est un code qu’il faut utiliser à l’abri des regards, de ceux des autres, tous les regards puisqu’ils sont tous plus soupçonneux les uns des autres. C’est ce qu’on identifie à l’amour, parce que les autres nous apparaissent, à nous ignorant le monde, comme un miroir d’absence et de convoitise ; un soi fantasmé comme des viandes nues, aux cuisses savoureuses, au sexe suave, à l’odeur envoûtante, présentées dans un film à la beauté pure, et qui restent inaccessibles, la gorge-vagin entubée. Coït respiratoire. Orgasmes machine réguliers. On a très bien appris à aimer trop peu.
Que nous offre l’amour, que nous ne saurions offrir en retour, pour notre plus grande insatisfaction ? Ah! systématiquement, l’identité se montre à soi par la face la moins séduisante. C’est toujours pareil, pareil, identique, dans un renouvellement sans surprise. Comme si c’était moi, toujours, que je voie dans l’autre. Mais, au fond, qu’est l’autre sans moi ? Et, qui suis-je, moi, sans l’autre, sans sa rassurante reconnaissance ? un monstre de plus dans l’échiquier de la folie.
Que nous offre l’amour vécu d’aujourd’hui, qu’en retour nous ne savons proposer, sinon le désabusement de soi-même ? Savourer la tristesse de son couple, qui n’a de cesse de faire durer dans un avenir ce qu’il ne veut vivre de désir au présent, par la simple crainte de se voir disparaître sitôt énoncé… Faut-il croire que l’amour dans un moment est l’ennemi de l’amour dans un toujours ? Amour éperdu dans l’étendu de la convoitise... C’est que, comme pour toutes les expressions humaines, l’amour n’échappe pas à sa propre réalité antagonique, qui l’anéanti sitôt prononcé. La magie du mot flatte les carapaces figées dans l’anxiété, pour les vider de leur sang asséché.
Que nous offre l’amour pour toujours, si ce n’est un repli docile, que l’habitude de son expression accroît insensiblement, mais inévitablement ; l’aventure soudaine d’un moment frivole, s’efface au profit de la gestion de la vie domestiquée, de laquelle elle ne saurait échapper, sinon sous l’emprise de la passion dont l’issue, alors est fatale. La domestication de la vie transforme la passion en devoir, et le désir en rôle exutoire; harcèlement de factures et d’obligations de toutes sortes, soutenues par des efforts constants d’attentions factices ; un devoir de parenté ; un rôle de frère ou de sœur ; un môme à peine désiré ; l’école ; l’argent qui vient à manquer… Les nuits et les jours finissent par se mélanger jusqu’à leur suppression. Nuit blanche pour jour fade, nos sexes d’affamés deviennent égarement pour ersatz d’humain privé trop vite de tout, qu’un injuste mariage scelle jusqu’à un inavouable divorce. La vie, flétrie avant de s’épanouir.
C’est la fin rigide d’une faim frigide. Amour… Amant…Qui est qui ? On ne sait pas vraiment ; on s’y perd. On y croit. Gagner une frénésie de copulation dans un moment d’excitation lapidaire. C’est du moi, de toute façon, dont il s’agit ; du moi ! Qui ne le comprendrait pas ? De ce moi ignoré de tous, mais convoité par tous, sitôt qu’un intérêt se précise, un intérêt que l’odeur de sexe attire irrésistiblement. Un moi, de corps, de sexe et de folie… Pour le reste… C’est là, du vous vers ce moi, que l’on devine n’être réduit que du toi vers le toi (C’est pareil) ; toi, dans l’ignorance de moi, parce que moi dans l’oubli de toi. C’est l’amour d’aujourd’hui, dans son indésirable délire. Mais, comment exister sans l’autre ? Impossible réponse rythmé par des « Il faut », des « Tu dois », des « Je veux »… Et chacun reproche à l’autre, par un dire insignifiant, son propre réquisitoire, afin, sans doute, de ne pas s’éparpiller, comme d’un puzzle assemblé avec une patience infinie, et qu’un tremblement de terre en ruine le spectacle dans un instant redoutable; déroute soudaine d’un alibi en miette ; c’est ce qu’il faut éviter, éviter la déroute de ce sentiment si redouté. Amour d’accoucheur d’une unique entité qui n’admet rien hors d’elle, et moins encore elle-même, parce que rien ne peut exister qui n’en exprime son influence ; c’est ainsi qu’il n’est rien, de ce fait, qui ne doit exister hors de son influence.
Alors, voilà, c’est ça, c’est comme ça ; c’est des « Je t’aime » ridicule, parce qu’on n’y croit pas. On n’y croit pas, parce qu’il manque ce qui s’oppose le plus à l’amour, un sentiment d’appartenance, une formule choc de format toc ; voilà l’amour vers lequel chacun veut bien se soumettre, parce qu’il est montrable ; alors, on y croit. Moi, toi ? Peut-être pas, mais qu’importe. Nous n’avons aucune force d’influence. Alors, il FAUT y croire.
Il FAUT dire : « Je t’aime » Mais, c’est ridicule ; ça veut seulement dire : tu es à moi, tu m’appartiens, comme mon chien, ce si gentil clébard qui ne peut pas être comme les autres, naturellement ; ou mon parking qui va si bien à la dimension de ma voiture ; Ah! Comme je l’aime… Voilà bien, là, l’état de l’amour…C’est un sentiment d’appartenance ; «Oh! Oui, prends-moi… Entièrement… Je t’appartiens… Entièrement… » Ah! si c’était seulement vrai… Vaste illusion. C’est l’amour d’aujourd’hui, qui n’est pas celui de maintenant, qui confond la passion avec la possession. «Proust« sous forme de magazine…
Combien de fois faut-il se tromper pour se saisir dans sa vérité ?
Que sommes-nous ? Qui estes-vous ? Qui suis-je ? Il ne s’agit pas de s’accepter, mais bien à l’inverse, de se comprendre. Et on n’y arrive pas. Plutôt, on redoute d’y arriver. On est perdu à l’intérieur de sa propre pelote de laine ; on s’entortille ; on s’y épuise ; et puis, on finit de se soumettre, par bonheur, à défaut d’étouffer d’effroi, parce que, sans cela, on s’emmêle ; et plus on se débat, plus on s’emmêle ; ça crée une confusion insupportable parce qu’on en redoute l’issu par ignorance, et le moment, par incertitude.
Alors ? Combien de fois faut-il se détromper pour enfin se saisir dans son propre mensonge ?
Peut-être, est-ce la peur qui nous guide ? Peut-être que non, parce que la peur ne nous emmène nulle part ; Elle fige les faiblesses les plus accentuées, et ruine celles qui lui échappent dans des massacres immodérés. Non, la peur n’est pas conseillère, mais imprudence. Mais, alors ?
On se trompe si souvent que nous nous croyons révoltés en se chargeant d’amertume.
Cependant que l’on croit quand même, ce «quand même» indélicat, à l’amour, parce que nous sommes dans la certitude de soi, étant dans l’impossible incertitude d’être. On croit à l’amour, comme pour un dieu dont la relation nous reste inaccessible. On y croit, et ce sentiment incontrôlable nous fait bander, parce que c’est bon. Nous confondons l’envie qui dresse le vît sous la pression du sang, et le désir qui soulève le cœur et tord les tripes, sous la pression d’un sentiment qui nous enveloppe. Et on finit par se tromper, plutôt qu’à tromper l’autre, parce qu’on mélange l’émoi de nos organes avec le sujet de nos émois, dans le pressoir de notre esprit délirant.
Le vît sert trop souvent comme objet de pénétration, plutôt qu’être le sujet d’un délire conjugué ; et l’organe ouvert à ce délire, s’articule bien plus souvent vers l’envie de la reproduction, plutôt qu’être l’identité de la transcendance. Hélas, nous fonctionnons plus rapidement que nous aimons, parce qu’il semble bien délicat de traduire le vivant, sinon sous forme de mécanique, cette logique privée de sensibilité qui fait la vie incertaine, en nous éloignant de l’intelligence, par l’absurdité de son fonctionnement.
Cependant, que sont les sexes, sinon le sujet de la réalité, vécu dans le précipice de la jalousie, cette ignoble jalousie trahissant le démon qui broie les cœurs et les vide de leur sang. Dans le fond, qui sommes-nous ? Homme ? Femme ? Non ! Sexe ! Aux confins de l’union, nous sommes sexes dévorant l’intérieur de nos entrailles. Ca tord nos boyaux ; ça rend sourd à toutes attentions ; et plus rien n’apparaît dans la beauté, parce que les sexes transcendent la beauté même ; plus rien n’a de goût, parce qu’aucun goût ne saurait s’imposer pour ce goût qui nous vient de nos organes ; c’est la vie par temps de pluie ; la vie couleur triste par temps de pluies grise lorsque le soleil des sexes cesse de chauffer le cœur des amants. C’est divorce de l’espoir ; l’horizon se perd dans le firmament ; nous ne savons plus où aller. Un temps, nous avons cru en nous, et nous nous sommes trahis. hélas. Depuis, la viande a finit sa fermentation ; de consommable, elle est devenue avariée.
C’est sans mode d’emploi alors, que nous appréhendons la vie…On en fait son propre usage, son propre mode d’emploi, chacun de son côté, bien maladroitement, comme les débutants de l’indifférence en proies à la responsabilité de leur existence. On s’en console, se disant, après tout, que ce n’est qu’un amour gauche qui manque d’expérience ; on le devine à la verge qui hésite devant l’entrée du vagin, et au vagin, blottit au creux des cuisses protectrices qui refusent de se déverrouiller. Il y faut le talent d’une main experte, pour qu’enfin s’ouvre le secret de cet étrange cratère ; humide parce qu’en feu ; étroit comme un canal à l’allure de serpent parce qu’aussi large qu’un tunnel. Etrange gouffre semblable à un gant de velours…interdit devant le membre viril impatient…
En amour, malgré tout ce qu’on en dit, on est toujours un débutant. C’est seulement l’expérience qui accentue le temps d’un ranci d’espoir juvénile, alors qu’il n’y a qu’imperfection de copulation. L’âge décapite à jamais ces liaisons qu’il interdit ; la vieillesse de nos débuts nous éloigne des débuts de notre vieillesse, dans l’illusion d’être en corps, en vie.
Quelle incontinence de néant, l’amour vidé laisse derrière lui, en proie au désarroi et à la folie… Ouvrons les yeux dessus, avant de les fermer à tout jamais ; ça forme vertige, peut-être ; qu’importe ! Il y a risque de tomber, sans doute ; et alors… On est déjà tombé dans son propre précipice, non par négligence, mais par ignorance ; ignorance de tout ; de l’autre ; de soi ; de chacun…On est déjà tombé, parce que la paroi de nos opinions est aussi glissante qu’un mur sans aspérité couvert de graisse ; Alors, on glisse, et on tombe, et on glisse de plus en plus vite, jusqu’à tomber de plus en plus lourdement, jusqu’au fond du précipice… Jusqu’au bout de notre égout. On espérait un fil d’amitié, et c’est une corde de trépas qui nous est tendu.
Alors, on recherche un confident ; une oreille attentive à notre désespérance ; un entonnoir prêt à recevoir nos déboires dans un déversoir d’immondices. C’est minuscule, et bien ridicule au demeurant. Et puis, c’est sans conviction, n’étant pas, nous-mêmes, assuré de notre échouage, mais il n’y a rien d’autre. Les amours défaits laissent dans la bouche un goût d’amertume, comme la saveur du ressac sur la roche, embaume l’atmosphère d’une odeur moite; un échec sans combat, vaincu avant d’avoir livré son flot de désirs, que l’on voulait chevaleresque, dans la tourmente d’illusions perdues au large de nos espoirs…
Devant nous, l’enfer de Verdun se prépare à fêter son anniversaire, celui de la «Der des ders». Triste privilège légué à la postérité. il y a eu déjà plusieurs guerres mondiales, avant la fin annoncée des territoires du monde des peuples ; d’autres se préparent, avant les bacchanales de l’apocalypse. Nos ancêtres ont perdu, pour nous, la victoire qu’il nous revient, contres eux. Les gueules cassées n’ont rien à envier à nos âmes perdues ; les tranchées de quatorze-dix-huit ont creusé, dans nos veines, les sillons de la soumission, et l’impuissance de nos illusions. Et nous nous voyons en conquérant puissant, puisque n’ayant rien de solide à défendre, et rien de consistant à s’emparer. Il n’y a pas de victoire. Il n’y a jamais eu de victoire. C’est pourquoi, on se mémorise l’exemple des peuples imaginaires d’une Bible qui se veut transcendante, comme référence à notre soumission, ou l’exemple de tribus courageuses vaincu par leur témérité à défendre leur histoire passée, face à l’histoire en devenir d’un monde technique que rien ne peut ruiner que lui-même. Nous sommes là, maudit à jamais d’être né à l’ombre d’un mauvais film aux couleurs pastel plastiques. C’est la guerre. C’est la guerre totale. C’est le monde des marchands qui nous livrent chaque jour une guerre totale parce que religieuse. Une guerre où la croyance de chacun tient lieu de vérité contre la croyance de l’autre. Le monde est religieux et son dieu est l’argent. Fini le temps des guerres outrageantes que provoquaient les religions d’une époque qui ignorait le monde des marchandises. Nous sommes maintenant, assis au beau milieu d’un théâtre belliqueux, soumis à la pulsion de la convoitise et de l’accaparement. Le dieu des juifs dont se sont emparés les chrétiens, ces dissidents du judaïsme, est enfin descendu sur la terre pour empoisonner nos convictions. Ils disent que leur dieu est la Vérité, et que nous sommes ses serviteurs, nous, chrétiens, qui pourtant, haïssons les juifs. Voilà un non-sens de plus dans le tabernacle des convictions. Et nous voilà, tous ensembles juifs et chrétiens, dans la désunion, semblables aux iconoclastes vandales qui formèrent l’esprit des païens. Chacun, dans la folie, nous nous croyons le fils de Caïn, alors que nous ne sommes que le produit de l’égoïsme. Tout cela n’est que mensonge. Mensonge du monde doctrinaire sur le monde païen. Le monde des juifs, comme celui des chrétiens, est un faux monde. C’est le monde du mensonge qui justifie la vérité de ses propriétaires contre tous ceux que tout porte à croire que vivre, c’est autre chose. On ne sait pas très bien ce que veux dire vivre ; on suppose que ce n’est pas ce que l’on vit, parce que, ce qu’il est donné de vivre, ne se fait que sous la contrainte, la méchanceté, la jalousie, l’accaparement, l’appropriation, le travail, l’orgueil, la veulerie, la trahison, et l’obéissance à l’arbitrage de ces formes d’inquisition. C’est aussi que le mensonge est un moment de la vérité, ce moment qui ne s’avoue que par la force, et ne domine que par la faiblesse. Alors, on transporte les marchandises d’un quai de gare à l’autre, en partance vers nul part, entre deux moments indicibles, affiché d’un prix de revient. On se console en se disant que c’est pour l’amour. Pour l’amour… On est si fier de rendre service ; de transporter ces marchandises dont le cœur est empoisonné, d’un quai de gare à l’autre, en partance vers nul part...Mais, c’est pas pour l’amour ; c’est seulement pour l’argent, cet autre nom de la dévastation.
Mais, moi, je ne veux pas de leur service ; et je ne veux pas le leur rendre. N’attendez rien. J’ai seulement besoin d’oubli ; d’oubli, comprenez-vous ? Pas de service. Je ne suis pas un vandale, pas même un païen, et moins encore un juif ou un chrétien croyant, mais un athée ; je ne crois en rien. Et quoiqu’il faille être souillé des croyances du christianisme juif, pour pouvoir s’en affranchir, s’en débarrasser comme on le fait d’un vieux vêtement devenu inélégant à force d’avoir couvert son égoïsme. Dieu ne peut exister que pour les impénitents de leur moi. A quoi bon croire en quelque chose d’indépendant de soi, hors de soi ? Qu’elle sens attribuer à ce qui échappe jusque dans l’étrangeté de soi-même? voilà un privilège issu du Christianisme de Judée : douter de soi parce que soumit à un dieu qui se manifeste hors et malgré soi, dans la crainte et l’ignorance. C’est cette condition qui me fait rejeter l’autorité de ce dieu ; qui me le fait réfuter. je ne crois surtout pas à un doute qui viendrait briser la certitude de mes penchants. Douter de l’absolu revient à en questionner sa raison, mais non le réfuter. Hors, il s’agit de le réfuter. A quoi bon cet autre qui trouve sa cause dans l’enfantement de l’humanité ? Quel besoin y a-t-il d’aller vers cet autre inaccessible, sinon d’être dans le doute de soi-même…
On préférerait, dans ce cas là, parler d’amour. C’est défaut de son absence qui nous en fait parler. Parler d’autre chose n’engage à rien que l’illusion d’un engagement, pareil, en cela, à un vieux militant sur le retour de sa guerre pacifiée. L’amour… Ce que l’on tient pour tel ; c’est qu’il nous faut bien qualifier le sentiment déroutant qui nous submerge jusqu’à provoquer notre propre déroute, faute d’en saisir sa nature essentielle. Alors, on s’accroche à des critères plus faciles à saisir ; comprenez, à voir. Tout est dans l’apparence. Il n’est pas d’amour sans jeunesse, ni beauté. La beauté, tel un envoûtant Cobra, tient dans la pureté apparente de sa jeunesse. Mais, derrière les yeux ensorceleurs du Cobra, se cache une beauté mortelle. La jeunesse se fane sous les plis de notre visage. Le sculpteur, qui nous avait fait semblable à la pierre de marbre, nous abandonne au temps, et nous livre à la vieillesse. Alors, une part de nous disparaît. On se transforme en pierre de silex, traversé de mille griffures creusées par le temps, comme le lit d’une rivière subit l’érosion du contenu de son mouvement. Et on finit par disparaître dans la poussière qu’un néant, un jour sans mémoire, a fait surgir d’un ventre à forme humaine qui se croyait désir alors qu’il n’était qu’envie.
Aussi, nous préférons, pour notre sécurité, le bonheur, malgré la contrariété qu’impriment les rides sur le visage. Le bonheur est plus simple à appréhender que l’amour, parce qu’il n’est qu’une chimère attachée à la perfection de notre égoïsme. Si je suis heureux, qu’importe le monde ; je me suffis à moi-même. Et cela convient à satisfaire l’égoïsme. C’est en cela que le bonheur produit du malheur ; il est un malheur positivisé. C’est finalement, de malheur dont nous vivons ; et nous le vivons avec bonheur par ignorance de son objet ; seul le sujet, c’est-à-dire, moi, suffit à le justifier. Alors, on érige des murs, tous plus haut les uns des autres, et de plus en plus long, comme pour ceinturer une propriété d’illusions sur l’arrogance de notre bout de terre, afin de se protéger du malheur des autres. Il n’est rien de plus affreux qu’autrui ; on en déteste ses expressions les plus accentuées, son malheur qui nous gêne jusque dans la culpabilité ; son bonheur, qui nous agace jusque dans la jalousie. Nous recherchons notre huis-clos afin d’éterniser le seul moment pour lequel nous éprouvons de l’émerveillement à vivre : l’absence de toute manifestation.
Chacun s’accorde à dire qu’il recherche le bonheur, non pour le plaisir qu’il pourrait procurer, mais afin de s’éviter une dépression impossible à supporter. « Malheur » est un mot compliqué, qui recouvre des situations si diverses qu’elles ne manquent pas de se contredire, tout simplement parce qu’elles n’ont aucun rapport entres-elles. Chacun se représente une idée commune du bonheur, celle de la réussite sociale, de la reconnaissance publique… Spectacle positiviste. L’ambition inhérente à un travail, la beauté plastique de l’amour symbolisée par le corps parfait d’une jeune fille nue, la victoire d’une conquête après une bataille décisive… C’est cela qui nous excite. Dans le fond, on est plus rattaché aux honneurs qu’aux fondements de notre vérité. Qu’importe ce que chacun fait dans l’alcôve de sa singularité ; seul, importe ce que l’autre en dit. Parce qu’il parle et raconte, lui, cet autre étranger dont on méprise le discours, que l’on trouve insupportable, mais tellement nécessaire à la réussite de ce que l’on est. Voilà, dans le fond, ce que nous sommes : la réussite de l’autre, incarné en soi, ce soi que l’on traduit par moi, et ça convient à tout le monde. Et, pour mener à bien une telle ambition, moi possède, car il s’agit de possession, une arme redoutable en cela qu’elle dit toujours la vérité, rien que la vérité, toute la vérité ; cette arme, c’est le support médiatique de la vision téléguidée. Une si universelle vérité n’a aucun besoin d’être vérifiée. Par son universalité même, elle EST la vérité. Elle est la vision d’Abraham, qui fonda la théorie du monde de l’Occident ; celle de Moïse le législateur, qui fonda les tables de la Loi. Celle enfin, d’un jeune juif qui parti à la conquête du monde de son temps, reniant son peuple, pour fonder un nouveau monde épris d’un bonheur spécial, enchaîné par des sermons sociétales. Vision de l’humanité : un peuple, une loi, un pays. Effrayant !
Le malheur, c’est autre chose, c’est un émiettement, une division… Il n’y a qu’un bonheur possible, tandis que chacun vie un malheur incomparable à celui d’un autre. L’aliénation à travers le support médiatique de la télévision, réunie le malheur de chacun dans son bonheur universel. On en est heureux, par cela que ce support nous préserve de la vie et ignore la mort véritable. L’effroi à l’état de domestication.
Bonheur et malheur ne sont pas des oppositions ; on ne peut définir l’un par l’opposé de l’autre. On peut mener une bataille à la victoire, et être très malheureux en amour ; on peut trouver son bonheur dans une situation qui est, par sa nature, cauchemardesque, comme celle de l’enfermement carcéral. On se sent malheureux en cela qu’on se sent perdu ; tandis qu’on est heureux de mener à bien l’hypothèse d’un projet. Mais, ce qui réuni ces antagonismes, c’est l’illusion de leur réalité respective ; la croyance en leur fondement, qui les rend vrai, alors qu’ils ne recouvrent qu’une réalité de supporteur. Nous recherchons le bonheur, comme la chimère, un spectateur, alors que c’est dans la roue du malheur qu’on peut rencontrer ce qui fortifie notre âme par cela qu’elle s’ajuste à la réalité, et non dans le positivisme de la vie quotidienne.

« L’on croit s’assembler au spectacle,
Et c’est là que chacun s’isole. »
J.J. Rousseau.
(Lettre à d’Alembert)

Dans le bonheur, on recherche, non pas la liberté, mais un confort, l’assurance de sa tranquillité. Le contraire du bonheur n’est pas le malheur, mais la liberté ; de même que le contraire du malheur, n’est pas le bonheur, mais la captivité. L’amour d’aujourd’hui, illustre au-delà de toute définition, la captivité qui s’empare des êtres, par peur de se vivre dans la solitude.
Malgré tout, nous restons humains, et ce que nous recherchons à travers le bonheur, n’est pas sa fixation bienheureuse, ni la tranquille félicité ; nous ne recherchons pas la baignade dans une eau calme, mais l’abondance, quelque en soi son degré et quelque soi la nature que nous lui prêtons. Abondance de jouissance, parce que l’amour n’est pas le théâtre du bonheur, mais celui de la quête de la reconnaissance.
Quête inaccessible qui transforme cette reconnaissance en travail, et l’espoir en devoir.
On s’en accommode par cela que l’acquittement de l’enfermement que procure le travail n’est pas celui dû à l’incarcération de notre viande, mais seulement celui de notre esprit. On s’en accommode parce que, de la santé de notre propre esprit, nous n’en avons aucune conscience tangible. Seul, notre viande semble satisfaire à nos désirs. Alors, on la soumet bien volontiers, sitôt que le résultat est de la tranquillité ; C’est la situation du travail. Par le travail, on s’acquitte du devoir qu’il nous faut offrir à l’autre, puisque l’offrande est devenue un devoir en lieu de ce qu’elle fut : un sacrifice; Devoir qui prend cette forme d’esclavage abstrait que nous nommons dette. La vie prend de la valeur ; elle a un coût, à l’inverse de sa nature, qui n’en possède aucune. Et c’est cette nature qui nous effraie, par l’exubérance de ses manifestations, parce que nous ne pouvons la neutraliser par un rapport économique, pour cette raison qu’il n’existe nul part un tel rapport. On lui attribut alors, tous les dangers par opposition aux dangers domestiqués de la vie apprivoisée de l’humanité. Nous la soumettons parce que nous n’aimons rien de supérieur à ce qui prend de la valeur, et nous en faisons la publicité, pour notre bonheur.
Un jour, quelques contrés de l’humanité ont inventé une cage, parce qu’elle envahissait déjà les têtes. On imagine ce que l’on fait et l’on fait ce qui s’empare de notre imagination, pour la restituer sous forme d’un cauchemar : Le rituel sacrificiel devenu travail.
Le sacrifice est à l’offrande, ce que le devoir est au travail.
Le devoir, cette dette clandestine dont il convient de s’acquitter par le labeur salarial que l’on confond avec le travail, afin de suggérer l’effort qu’il faut fournir pour mériter une vie codifiée, finalement indésirable, isole chacun dans son inauthentique spécialisation, par défaut de connaître l’authenticité d’un savoir universelle. On s’identifie à un rôle, une fonction, plutôt qu’à la qualité d’une connaissance acquise par l’expérience. Tous les rôles n’ont pas la même saveur, mais tous traduisent l’identité de celui qui s’en revendique. Un charpentier ne saurait être un maçon. Rien n’interdit ce transfert, que la seule conviction qui élève l’identification à un sacerdoce, comme le parent ne saurait être aventurier sans recourir le reproche de ceux qui se refusent à ce qu’ils ne peuvent comprendre.
On fournit bien des efforts ; on se soumet à l’écoute de l’autre. C’est alors qu’on se voit reproché de ne pas l’être assez. A quoi bon… A quoi bon… Etre à l’écoute de l’autre, c’est, comme la Justice, être aveugle et sourd envers nos penchants. Voilà ce qu’il faut refuser de toute ses forces, à être : un professionnel de l’Attention.
Chaque relation est une expérience unique, et bien que, à chaque fois, c’est de soi dont il s’agit. C’est soi dans sa propre confrontation. De qui d’autre pourrait-il s’agir ? L’autre, c’est un vocable qui ne veut pas dire grand chose ; Il désigne principalement une étrangeté, plutôt qu’une reconnaissance. Etre en face de l’autre, c’est être face à soi, dans l’apparence ; La figure de l’autre dans notre singulière reconnaissance, en dehors de laquelle, l’autre n’est qu’une ruine sans réalité.
La relation à l’autre n’est pas un invariant, mais un renouvellement ; et quoiqu’on y reproduise ses ratages ; Et quoiqu’on y produise la correction de ce ratage. C’est ce qu’on identifie à l’évolution. Il y a renouvellement à l’identique, et évolution par cela que rien ne saurait se reproduire qu’il ne présente la menace de son imperfection. Les Dinosaures n’y ont pas survécu. Il serait souhaitable que l’espèce humaine qui se présente avec les traits de son absolue certitude par l’excellence de ses devoirs, n’y survive pas. On ne peut identifier la folie à la naturelle perfection qui relie le plus infime des atomes au plus grandiose des spectacles célestes. Il y a sens à cela, parce qu’il y a l’espèce humaine, la seule capable d’observer et de traduire le fruit de ses observations. Par un étrange effet, nous ne sommes pas des Dinosaures. Mais, c’est la même qui produit le non-sens, le sens belliqueux de l’arrogance. Par endroit, elle s’auto-congratule sous la forme indigeste de démocratie, et redouble de conviction par son emploi unilatérale de sa force.
Nous, l’espèce humaine, sommes l’œil qui donne sens et logique au spectacle du monde, depuis le plus infime des atomes, et jusqu’au confins d’un univers inimaginable. Nous suggérons l’existence de Dieu, le dieu des chrétiens, celui que nous reconnaissons comme seule vérité, en regard de la vérité des dieux étrangers, par identification plutôt que par reconnaissance, parce que ce dieu est le point de vue de l’homme dans la nature. C’est ainsi que la nature se laisse comprendre. Il est des suggestions qui forment loi universelle par défaut d’être contrarié par une loi plus universelle encore, sinon celle du refus, et qui est celle de la seule véracité de l’existence, par défaut d’une souveraine certitude.
Mais, le dieu dont il est fait référence par les chrétiens est la définition du néant. C’est pourquoi, il en est parlé en termes d’amour. L’amour n’est qu’un point de fixation sur un objet, celui de l’être pour lequel on indispose son cœur, afin que celui-là se dispose au notre. C’est un moment de fixation pour former oubli du chaos des choses persistantes. On dit amour, pour dire union. C’est là que ce point de fixation concentre en lui un point d’unification que l’on confond avec l’amour, et que l’on identifie à la figure de ce dieu.C’est pourquoi, il n’y a plus d’amour possible à moins de l’apocalypse.On recherche l’amour chez l’autre, comme on va chez le dentiste, parce que le besoin presse de calmer notre âme délirante ; apaiser le mouvement brownien de nos sentiments aléatoires si perturbés. L’enfer, c’est l’autre dès lors qu’il ne se manifeste plus. Le silence n’est qu’un plombage d’anesthésiste. Nous sommes en dérangement. On voit bien, devant soi, l’autre pour lequel nous éprouvons un sentiment perturbant, mais c’est seulement parce qu’on est en désir, comme une saison provoque le rut. C’est dérangement, parce que l’on veut y voir un autre ; un autre idéalisé, et non une viande. Alors, on est accusé de manquement parce que l’autre ne se manifeste que par une sorte de tromperie ; un louvoiement en place d’une certitude. On en fait tricherie par défaut de vérité, alors que c’est seulement nos désirs qui nous jouent ce vilain tour de passe-passe. Ne voulant pas l’admettre, on se fait un devoir de le nier. Ca nous préserve de la déhiscence de nos organes par défaut de succomber à la provocation séduisante des charmes de l’autre. On voudrait pourtant bien croire en sa naïve générosité ; une chaleur infantile… Cependant, que de cruautés et de mensonges, de manquements étourdis… Alors, l’amour tant recherché devient haine tant redoutée ; violence et dégoût ; déception d’une attente trop contenue ; contrariété d’un désir trop oublié. Douleur. On s’est cru amant par défaut de se croire aimé ; la douleur, au fond, est une raison de vivre.
Et l’autre devient, étrangement, comme une difformité qu’il nous faut arracher de l’horizon de nos intestins ; trop cause de tous les maux ; c’est bien connu, l’enfer, c’est l’autre…
Rien ne se conçoit dans la durée ; cependant que dès que l’autre se fait absence, nous sommes désemparés. On attribut à l’absence une nouvelle effroyable parce qu’on l’identifie au glas qui souligne le silence de la marche vers le cimetière. On vie la séparation comme un accouchement, une expulsion plutôt qu’une invitation vers la liberté. On porte le deuil. C’est l’autre, la cause de ce fardeau. Il nous faut vite remplir ce vide soudain dont s’est emparé l’effroi ; s’éloigner de notre propre glaciation…
Alors, nous nous mettons en scène, afin de vivre un amour par procuration, pour chasser l’image de celui qui nous a hanté pendant toute une vie. La tragédie nouvelle se dit de cet amour qui n’est plus désiré, pour un amour qui n’est pas fécondable. Ca accentue une solitude envahissante, par défaut de s’éloigner d’une présence devenue encombrante. On rompt avec l’amant, dans l’espoir de rompre avec la solitude ; on recherche une écoute ; on rencontre son isolement. Alors, l’autre, l’objet de notre amour, devient le reflet de notre ratage ; c’est qu’on est si prompt à renier ce qui nous accuse, pour accuser ce qu’on renie…
L’amour d’hier est la négation des temps modernes.

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PRELUDE A UNE AURORE DEFUNTE

« Pourquoi y a-t-il rien,
plutôt que quelque chose ? »

Où se trouve le relief tant décrit par les poètes et les géographes… ? Aussi loin que j’observe le monde, et malgré le tour que j’en fais, je ne voie que platitude abstraite et prédations abominables. On distingue bien quelques strates, mais elles se révèlent n’être qu’une accumulation de couches successives de platitudes. Le relief se révèle en réalité n’être que les pliures accidentelles, issues de la violence des rencontres que l’on tente timidement de faire sous l’impulsion du désir, et que nos craintes transforment en appropriation ou en répulsion. Le relief, le vrai relief, lui, on le redoute comme l’obstacle qu’on rencontre après avoir manqué le virage, parce qu’il est la finition figurative de la mort. Les hauts et les bas ne sont pas plus élevés qu’ils ne sont profonds. C’est que tout n’est que glacis sous l’optique déformant de notre orgueil ; lequel présente ce défaut d’effacer toute dimension, de réduire notre champ de vision à la dimension insignifiante de notre seul détail. Il est prudent d’en faire l’observation ; trouver le moyen de supprimer cette erreur de parallaxe ; découvrir le relief du monde, celui qui bâtit l’histoire linéaire du temps irréversible, non pour l’arrêter, mais pour en devenir maître ; non pour l’encercler, mais pour le pénétrer ; faire de sa vie un destin, en sommes. Nous pataugeons dans le malheur d’être soumis à notre destin, sans même l’imaginer un instant. Et c’est cela, cet instant qu’on n’imagine pas, qui figure notre malheur véritable par son ignorance ; Le temps n’est plus ce que nous sommes ; nous sommes devenus ce qu’il est. Alors, toute colère est vouée à l’échec. Nous vieillissons ; et nous vieillissons par oubli que le temps est la vie, qu’il n’est pas une donnée brutale qui se développe sur l’accumulation des cadavres, mais cette dimension qui fait de la matière vivante, de l’humain, cette étrange matière pensante qui agit. Nous sommes dans cet oubli, parce qu’il nous sied d’être complice de notre propre enterrement. En fait, nous n’aimons pas la vie, seulement le peu que l’on s’en approprie, et abandonnons le reste à la convoitise des affamés, comme le carnivore laisse aux rapaces les déchets de son repas, faisant mine de générosité, se croyant gourmet là seulement où le trop plein étoufferait le plus intrépide des gourmands. Nous craignons le jugement des dieux par docilité envers ceux du diable.
L’ère glaciaire de nos sentiments ne peut réchauffer nos cœurs enveloppés d’indolence.
Apres tout, que pourrait signifier une hauteur, une verticalité, pour celui qui est astreint, non pas à ramper, c’est là le domaine réservé au magnifique serpent, celui-là qui a engendré dans le bas-ventre de la première femelle humaine aux grappes de mamelles pendantes comme la louve qui a engendré Rome, non pas à ramper, disais-je, mais à rechercher les sommets culminants de sa propre petitesse, par cela qu’il protège son bas esprit ? Car, tel est bien l’insolence de notre époque, de nous montrer ceux qui font et défont la vie avec un mépris inégalé dans l’histoire, non pas comme ces hordes staliniennes ou américanisiennes qui se sont jadis, heurtées à tout ce qui se manifestait d’imparfait, mais comme le sportif qui ambitionne de s’emparer d’une première place irréelle par des prouesses inutiles repoussant les limites de son corps aux limites de sa volonté, avec l’appui de tout ce qui a vocation d’obéissance à un ordre incontestable. Voilà l’ordre qui cherche à s’imposer aujourd’hui : Le W.A.S.P., épris de cette petite ambition de vouloir dominer tout ce qui est vivant, à commencer par l’espèce humaine, cette presque trop parfaite créature dont l’origine remonte aux confins des étoiles ; créature inconvenante dans le monde tribal d’aujourd’hui et qui se résume à sa prédation. Pourtant, à quoi bon imposer des rapports de force, là où le jeu suffit à disputer ses idées ? C’est sans doute que le poker est au bluff ce que l’Etat est à la terreur.
L’amour a disparu. Il est peut-être passé à la clandestinité, en attente de jours meilleurs. En attendant, la ceinture de chasteté sort de son purgatoire où l’avait relégué l’énergie du désespoir, depuis que les moralistes, nouvelle fin d’époque ont refait leur épouvantable apparition, afin de se purger le bas-ventre des souillures que l’époque de tous les possibles, celle de toutes les révolutions, l’avait inondée.
Allez, il suffit de vouloir chasser le naturel, celui de l’âme de l’Etat, pour qu’il revienne plus vite encore que la manière dont on croit qu’il pourrait être chassé. Ce n’est, finalement, qu’une somme de mots, tous plus séduisant et mensonger les uns que les autres. Ca fait économie d’acte ; on diablotine ; ça rassure. Toute liberté se vit sur le mode de l’extravagance ; Ça fait perversion. L’Etat, pourtant, n’a toujours admis qu’un seul mot d’ordre : lui-même. Finalement, que trouvez-vous de nouveau, sous le soleil gris qui se couche à l’ouest de la pollution de nos désirs ?
Sous les projecteurs fragmentés de la censure, toute tâche noire fait défaut sur tissu blanc. Mais, moi, j’aime la noirceur qui forme tâche, parce qu’elle forme présence ; tandis que tout ce qui est blanc est livide comme la camelote de cette onomatopée d’Amérique qui se voudrait d’une pureté blanche, réservant à l’exception noire sa seule condition d’être la confirmation de la règle blanche du professeur blanc, écrivant sur le tableau noir, avec sa craie blanche, la seule vérité qu’il veut entendre de la bouche de ses élèves blancs : « Je suis ! », sans voir qu’il n’est qu’à la condition de la négation de son être, et qui est celle de la peau noire.
Rien de très blanc, derrière ce chevalier d’airain…
On devrait commencer par soi. C’est soi, le discours de l’autre, pour soi. Commencer par soi parce qu’on n’est pas unique, mais fidèle à la solitude, la sienne dans l’absolu. C’est l’inverse de l’isolement, qui n’est qu’une solitude contrariée par le fait qu’elle n’est pas soi, mais soi fragmenté, des petits bouts d’organes dispersés à travers l’espace vital de l’espoir, sans jamais rencontrer l’autre qui nous offre de défragmenter notre mûr, de nous exploser dans le désir de notre chaire. L’isolement se traduit par la dispersion de nos organes, tandis que la solitude nous maintient dans l’unité de notre être. Là où l’isolement sépare, la solitude ressoude.
On débute dans la vie. Toujours. Comme le rythme des saisons, chaque naissance est un début dans la vie ; et tout doit être recommencé. C’est impropre ; c’est le début vite débattu ; vite oublié. Un début dont le but primaire est d’en oublier l’origine, afin de méconnaître l’ignorance d’un amour ignoré qui nous a fait naître, parce que, au fond de notre âme, on sait bien qu’on ne s’aime pas. On comprend alors, pourquoi l’oubli est fréquentable. Certes, on ne se déteste pas ; c’est autre chose ; on ne s’aime pas ! Nous sommes le produit, et nous reproduisons par retour, ce « Corpus Christis » rédempteur ; une absolution pour acte inassouvi ; un oubli pour une absence ; l’équation est juste, à défaut d’être vrai.
On cherche à oublier sa vie, pour une vie qui nous ignore. Sans doute est-il plus reposant de s’oublier dans le cercle inutile de la poésie disparue de nos croyances, plutôt que d’affirmer sa certitude d’être, hors cadre… Peut-être…
On débute dans la vie avec, pour seul bagage réel, l’incertaine certitude d’être soi. Plus que fragilité : inconsistance. C’est avec ce ça qu’on devient soi, cependant. Alors, le plus souvent ça, fait arrogance par défaut d’être. Et l’on devient soi en conséquence de ce défaut. Seul critère de la vie. Rien n’est plus fragile, parce que rien n’est plus proche de la folie empreinte de suffisance et de thésaurisation. Et c’est sur cette base que l’espèce humaine a bâtit son monde, qui est le monde de la veulerie et de l’appropriation.
Alors, on fait des distinctions. Distinctions de génération ; de classes sociales… L’ordre et le temps font l’affaire des concepteurs de monde… Et nous acquiescions à leur programme par déroute, et peur de s’avouer pouvoir en connaître d’autre. Très vite, on devient ce petit vieux que nous redoutions, pour un petit vieux que nous ignorions. Les rides se raffermissent ; les organes s’amollissent ; le corps perd de sa fluidité. On se sent inconcevable d’être séduit par plus jeune, par cela que la jeunesse ne se conçoit pas, elle-même, comme un moment, mais comme une durée dont seules les rides trahissent le marquage du temps, comme le bœuf s’essouffle à traîner une charge que les ans ont alourdit. On en ferait reproche envers plus jeune encore, tant le niveau de la censure atteint des niveaux inégalés, depuis que le temps a marqué son empreinte à travers l’histoire.

Nous ne sommes jamais en jeunesse par les ans juvéniles, mais par le doute que l’on cultive, et que l’affirmation d’être signifie la force de cultiver son inquiétude par reconnaissance des choses qui nous échappent, à travers le mouvement du temps, qui assouplit nos impulsions et notre témérité.

On vit. On devient, par ce fait même. C’est alors qu’il nous faut appréhender les propos menaçants qui contiennent une vérité si sévère, qu’elle peut remettre en question notre propre intégrité, par tous ceux dont l’usage de la vie les a réduit à une sorte de fonction, indépendamment de toute possibilité échappant à la fonctionnalité. C’est par là que l’on peut reconnaître ce qu’il faut dire, par cela qu’il y a plusieurs vérités, afin de couvrir un seul mensonge réel. C’est que chacun se veut si différent qu’il devient menaçant pour l’autre, parce que sa pensée est étrangère à celle de l’autre. Qu’en reste-t-il ? un refus absolue par l’aversion de l’étrangeté qui ne peut admettre une apologétique, sans risquer de se perdre, ou une admiration qui ne peut admettre des bornes, sans risquer d’être dissolu dans la contradiction que produit l’admiration envers un discours, en lui refusant sa limite.

Ce choix inconvenant traduit le désarroi qu’une telle pensée provoque, le déséquilibre qu’elle entretient. C’est une traduction qui établie une part de vérité qui se véhicule de moments en moments, ceux-là mêmes que d’autres diront par « jour en jour ». J’en préfère le pluriel d’un moment, plutôt qu’une durée singulière qui se néantise sitôt énoncée, parce que c’est dans le moment d’un instant qu’il est possible de ressentir tout le secret de la vie. On ne saurait, cependant, en discourir sans en disconvenir.

Il y a une vérité obsédante qui nous dérobe au mensonge le plus ingrat, c’est celle du vide. Le mensonge a besoin de charpenter ses formules pour paraître crédible, tandis que le vrai se suffit à lui-même, dans sa faiblesse même. C’est là qu’il trouve sa force, dans ce vide inénoncé qui n’éprouve aucun besoin de se justifier, de se valider. La validité ne se justifie que par son extériorité ; de là toutes les incohérences qui renvoient à une sorte de mensonge, aussi vulgaire soit-il.

Cependant, c’est amusement, quand même, comme pour tout langage. Ici, ça fait langage linéaire, malgré son relief sonore. Il est linéaire en cela qu’il est plat, avec pour seul relief, l’horizontalité ; aucune profondeur réelle ; seulement un relief d’aspérité qui trahi sa contrariété. Rien d’autre. C’est cette contrariété qui produit le relief sonore. Seulement elle. D’où les immondices de l’amertume.

C’est cela qui forme les lois ; la contrariété de ne rien comprendre, qui ne trouve sa justification dans l’énoncé des lois. L’esprit des lois, c’est le chemin d’émergence de l’autorité.

Par nature, toute loi est autoritaire en cela que la nature n’éprouve aucun besoin d’indulgence ; seulement de se reproduire malgré tout, et coûte que coûte. Et pour mener à terme ce projet étrange, toutes les lois qu’elle peut exécuter lui sont comme nécessité vitale, alors même qu’elles n’obéissent qu’au principe de la force, plutôt qu’a celui du raisonnement ; pour cela que cette force est une démonstration de raisonnement.

Tout ce qui s’impose fait force de loi.

La force s’identifie à la bestialité par cela qu’elle s’impose ; et cependant, nous ne saurions y trouver un point commun universel avec l’homme, parce que c’est son humanité qui fait force de loi, et non la force qui fait la loi de son humanité. La puissance de l’homme tient dans la faiblesse de ses organes, plutôt qu’à une excroissance particulière comme on la trouve dans le règne animal. Ni force d’éléphant, ni corne de rhinocéros, ni camouflage d’iguanes. Seulement le travail de ses méninges. Mais, depuis longtemps, nous savons que l’apparence est trompeuse. C’est seulement maintenant que nous croyons en l’apparence. Et cela, parce que nous vivons dans la permanence de l’apparence sans comparaisons possible. C’est par cette absence, qu’on peut déterminer l’apparence. Tout ce qui est, l’est dans la mesure qui donne une signification dans une relation. Il appartient à l’espèce humaine d’être dans la démesure qui l’éloigne de toute signification. On en détermine une transcendance. A voir les monceaux de cadavres qui jalonnent le chemin de l’humanité, toute transcendance ne trahie qu’un confort de l’esprit plutôt qu’un esprit visionnaire. C’est pourtant sur le fleuve intranquille de l’histoire, que l’humanité trouve la cohérence de sa réalité, en cela que ce fleuve produit la réalité de sa cohérence. Et s’il y a mort, ce n’est pas par imprudence, mais par ignorance. C’est là, l’essence de la constitution d’une armée. La nature de l’ignorance est ennemie de l’être.

L’imprudent ne connaît pas son ennemi, par ignorance plutôt que par conviction. Et c’est cette ignorance qui le convainc de n’être ennemi de personne par certitude, alors même qu’il est traité sans ménagement par ceux-là qui le soumettent à l’ordre de leurs besoins. Et ceci est le seul ordre admis dont rend compte le système d’obéissance de l’organisation sociale.

On dit : c’est inégal ; ça ne l’est que dans la mesure où rien n’est égal. C’est cette idée de démesure qui a conduit certain à l’appropriation du sol et de l’esprit, et qui s’en sont octroyés la vérité, par la force que la puissance de la possession de cette richesse abstraite qu’est l’argent, permet. Ceux, les plus nombreux, qui en sont exclu, n’ont la conscience que de leur mesure, sans se soucier un instant de la démesure dans laquelle ils sont plongés par ceux-là qui les soumettent afin, pour eux-mêmes, de jouir de la démesure de leur sentiment. On ne saurait les en blâmer sans devoir se révolter ; ni se révolter sans devoir vaincre, ou disparaître.


Argent ! Voilà ; le mot est écrit enfin. Mot indisponible qui éveille bien des convoitises et bien du mépris, par la nature de son objet même, celui là qui oblige à se convertir, non par croyance, mais par nécessité, qui recouvre une croyance que tout le monde admet, et bien que chacun en subisse son sacerdoce. Voilà la puissance, la conviction absolu sans devoir se soumettre à une religion particulière, parce que la plus universelle de toutes, celle qui contient la richesse la plus absolue : la grandeur qu’incarne la liberté dans le mouvement des foules impatientes.

Les paradis verts ont à jamais disparus, troués par une rafale de mitraillette. Depuis lors, un sang noir se répand dans nos esprits. Il nous reste à fêter la Saint Barthélemy, en hommage aux égorgeurs malvoyant d’une époque mal consciente. Le sang d’alors se répand dans les caniveaux, se mélangeant à la merde de ses victimes. Depuis, il ruisselle à travers les chemins domestiqués de notre soumission, tant il est vrai que rien ne vaut l’apaisement, en rapport à la critique. Le saint patron des bouchés en ri pour autant qu’il y ait autant d’organe que de viande. On mange jusqu’à saturation, puisqu’on y croit ; puisque l’on confond les organes jusqu’à ne plus différencier le phallus et les tripes, le vagin et le cœur, l’envie et le désir. C’est organe d’excréments et de sangs : le cœur se vide dans le vagin réglé pour remplir le vît d’un sperme fécondant. Et la ritournelle continue ; c’est le programme de la fécondation, celui de l’accouplement ; une bulle de sang qui ne saurait accompagner le fœtus, hors de sa procréation. Le sang est vipère, comme le venin est orgasme… C’est l’amour mort, tel qu’il est vécu aujourd’hui. C’est le sens donné à la vie, un giratoire qui ne tourne que sur la poussière qu’il répand, et fini dans l’impasse que la mort embrasse. Ca fait poussière ; poussière d’os. Plus de trace du phallus, ni du vagin. Dans la mort, l’amour n’est plus. C’est aussi que dans la vie, l’amour n’est pas parce que dans la mort, le coït de la vie disparaît sans laisser de traces.

On voudrait s’évader de son enfermement, mais la seule issue possible passe par la défenestration de notre inconscience. Il arrive qu’on ouvre la fenêtre, cependant. Mais, le vertige s’empare immanquablement de notre esprit. Ca fait glaciation, comme aux temps déraisonnables de nos origines. On ne saurait en accepter le retour, sans se nier, car deux millions et six cents ans ont été nécessaires pour qu’un Sapiens Erectus vienne déssignifier la récurrence naturelle du vivant, depuis l’espèce la moins visible, jusqu’à l’espèce dont le tour de poitrine fait pâlir de jalousie la moindre midinette à l’égocentrisme ridicule, et qu’un Buffon a identifié comme étant l’espèce la plus signifiante du monde vivant, l’homme, que notre égarement réduit à la fonction humiliante d’une mécanique.

La mécanique des sexes a transcendé l’émotion éprouvée par nos organes. Nous ne sommes plus dans le désir chargé d’amour, parce qu’il n’y a d’amour que la sensation du désir, de sorte que l’on n’aime rien, chez l’autre, que son sexe, cet organe mou que notre émoi met en fonction. Cependant, n’y a-t-il jamais eu d’amour ? Ne va-t-on pas vers l’autre pour s’évader de son propre enfermement plutôt que pour lui offrir notre liberté… Pareille à la colombe, nous enfermons l’amour dans la cage de nos angoisses ; on s’en empare afin de faire durer cet instant si merveilleux, dans l’espoir qu’il soit éternel. Mais, l’amour pour toujours ne pourra jamais devenir réel, par cela que la mort est inscrite dans la vie. Il y a du toujours dans le renouvellement, mais non dans la durée. Ce qui dure, ne tient pas ; ce qui tient, ne dure pas.

La mer se charge de son écume amère…

J’ai beau écrire, rien ne vient transformer mon discours par l’alchimie de l’optimisme. On s’inquiète pour moins que ça, c’est pourquoi il est sage d’être apprécié sans être connu ; une réputation véritable ne vaut que par ses pairs ; mais ceux qui la fondent et la défont ne sont lecteur que de leur seul caractère. Point besoin de proposer du beau, seulement de la vulgarité, du marivaudage, de l’insignifiance. Et demain ? Pour demain, il n’y a goût que pour projet ranci avant même d’avoir effleuré l’impatience d’une idée, abîmé par un ailleurs que l’espoir à fait oublié, pour un maintenant sans réalité, parce que l’espoir transporte maintenant vers un futur inaccessible ; ça fait ailleurs oubli de maintenant sans rien en laisser paraître. Mais, finalement, qu’est demain si ce n’est la justification de l’infidèle certitude d’aujourd’hui…

Ce demain, existe-t-il seulement quelque part ? Tout autant chargé d’inquiétude que d’espoir, qu’est donc ce demain qui ne contient que la parole de se vendre et que personne n’achète, à moins d’être une parole qui s’achète parce qu’elle n’est qu’à vendre… Demain n’est que le langage de ceux qui redoutent aujourd’hui, parce qu’aujourd’hui vérifie le langage du demain de ceux d’hier.

Mais, jamais projet abouti à celui qui n’y verse que ses passions.

Paradoxe de l’écriture, demain n’est qu’un moment de nulle part qui ne devient que par le passé de sa réalité. Et ce mouvement du temps transforme cette réalité en passion, c’est pourquoi l’écriture n’est que l’approximatif d’un désir, et ne peut se vivre que sous l’orage de la tragédie. Il n’est pas de nectar qui ne se transforme en poison.

Il faut bousculer l’usage routinier du temps irréel, bousculer le contentement de la lourdeur ordinaire, afin de tenter parvenir à être ; et quoique dans cette tragédie qui échappe à toute maîtrise, cette passion ne peut se nourrir que de ce qu’elle accepte, et qui n’est, finalement, que l’usage routinier du temps mis en relief par son contentement.

C’est artifice ; rien ne vient naturellement, naturellement ! Comment différencier une passion de ce qui ne s’exécute que sous l’emprise de la morne quotidienneté, sinon le projet qui vient contrarier la routine… Et quoique la critique de la routine soit à la sagesse, ce que le poison est à la routine de la critique… La routine est une nourriture de l’esprit à laquelle on s’habitus, tandis que la passion est une conquête qu’aucun estomac ne sait rassasier. Voilà qui contrarie l’ébauche de toute critique. C’est qu’il manque à la critique, la nourriture de l’esprit qui la fortifie jour après jour ; trop frivole ; trop alerte ; rien de la critique n’arrive jusqu’à l’aurore d’un rêve ; seulement son crépuscule, avant même la lueur d’une seul lumière.

Le matin, comme tous les matins, est un matin peur, parce que sans vie ; je veux dire, par manque de vie. Non pas absence ou suppression de vie, mais par négligence. Ca forme abondance d’amertumes. Plus rien, alors, n’est compris, puisque rien n’est plus saisissable. Ca donne petit matin blême sous soleil blanc. C’est, cependant, dans cette condition qu’une extraction possible de certitude est à venir… A chacun de se l’entendre comme il lui convient, par mépris de l’autre ; ou à tous de se comprendre, par désir de soi… Au choix…

Il ne s’agit pas ici, de dresser un manifeste en vertu d’une sorte de quotidienneté ; rien n’est plus désolant que ce qui s’exécute sous la chape de plomb de la vie quotidienne. J’aspire à une transcendance, parce qu’aussi bien, mes fantasmes interdisent de me noyer dans la circularité de la vie quotidienne ; je navigue entre la rive de la raison et celle de la folie dans les eaux boueuses d’une sorte de vérité que bien peu acceptent d’entendre parce qu’elle n’a rien d’objective; silhouette translucide, le mont St Michel n’effleure pas encore mes seins, malgré sa rive sablonneuse.

Dans mon enfantement, le ventre de la mer accouche de mon délice, pareil à un jardin merveilleux, et c’est heureux ; mais alors, pourquoi Cupidon s’acharne-t-il à mon évanescence ? Hélas, le bleu n’influence pas le gris ; les nuages voilent la couleur du soleil, et la nuit reste fidèle à ses ténèbres. Allez pustules… Vous me frigorifiez de la présence de votre seul néant ; que voulez-vous me demander, que je n’ai pas, par défaut de vous voir offrir la misère qui m’appartient ? Que désirez-vous de ce choix indésirable ? Prenez-vous par vous-même ; n’ayant de moi rien que je ne puisse offrir, que le partage de mon rien.

Rien. Je ne veux rien. Je ne veux rien d’autre que le rien qui m’habille de la robe noire de mon néant ; c’est ainsi que je me conçois, travesti dans un habit pour femelles noires, transparent. Je ne choisi rien de ma convenance autre que l’absence de toute convoitise ; En cela, je ne choisi rien, n’ayant rien à choisir, non parce que je suis dépourvu de goût, mais bien à son inverse, parce qu’il manque le goût qui pourrait séduire mes papilles. J’ai appris, il y a très longtemps, à transformer le vide en plaisir.

Danser sexe nu.

L’amour enferré d’aujourd’hui, n’attend que le détachement de ce qui le retient aux liens de son encerclement qui le frigorifie. C’est impossible priorité parce qu’impossible réalité, telle Madame de Clèves se prenant volontairement les pieds dans sa robe, afin de ne demeurer dans le lieu insoutenable qui la prive de ses désirs, sans paraître déficiente.

Nous vivons le monde, mais nous le vivons à l’envers du mouvement du temps qu’il nous impose. Maintenant, il faut mériter une promotion illusoire en fonction de notre aptitude à la recevoir, par la convoitise qui nous occupe, plutôt que par les soupçons de nos maîtres de nous en supposer indigne. Mais, c’est un juste retour, après une vieille répétition qui fait le temps vieillesse.

Le mérite d’aujourd’hui se remarque par l’évidence certaine qui soumet l’histoire par des moyens qu’elle ignore, et non par l’arrogance d’une jeunesse qui, alors, fit de la certitude, une sagesse inconfortable.

Il y avait la servitude ; il y a, maintenant, la soumission, enfer public qui ne connaît que le journalisme, cette idéologie de la vérité qui ne se véhicule que par la médiation d’une médiathèque ; déclinaisons d’idéologies qu’autrefois nous appelions fascisme ou stalinisme, et qu’aujourd’hui nous concevons comme communication. Sait adapter le mensonge, celui qui y trouve profit. Il y a une armée d’indésirable qui veulent être désiré. Servir, voilà le maître mot. Servir par désir plutôt que par nécessité, afin de gagner la liberté dont nous sommes dépourvues par notre nature même, et que jamais nous n’obtiendrons, par notre nature même, puisque nous le refusons, par notre nature même, et dont l’une des composantes est le salariat, l’autre étant l’inquiétude métaphysique de vivre. Cela fait système ; et tout système fait force de loi par son principe.

Alors, chaque instant marque son tempo par le tic-tac instrumentalisé de son angoisse intemporelle.

Le temps vient et va, et s’en retourne, et frappe l’arrogant devant une glace qui lui renvoie l’image de la crainte qu’il redoute.

« N’offrez pas votre corps à n’importe qui. » Conseil attendu de ceux que la crainte oblige à faire n’importe quoi. Par évidence, nous offrons notre corps à n’importe qui, puisque nous nous retrouvons à marchander notre vie sous forme salariale. D’ailleurs, il est inexacte de parler d’offre, parce qu’on vend son corps, sa force, son temps, sa vie, pour une bouchée réelle de pain falsifié. Oh! Là, scandale… Et alors ? Pour qui donc vous prenez-vous, vous qui convoitez l’objet de vos désirs inaccessibles, vous qui ne vivez que sur le principe de la privation, et sur le mode de la procuration permanente, et que vous justifiez par la charité que dicte le christianisme, à défaut d’accepter votre désinvolture ; que feriez-vous pour satisfaire à un désir inattendu, malgré la frustration attendu que produit la convoitise, qui va en s’accentuant, de ce désir trop attendu pour être assouvi sans brutalité?

Le sang perle sur le front, et il neige dans les cœurs.

Ca fait beauté, les corps nus : homme, femme, il fait beau à l’ombre des sexes. Il fait chaud, au creux des reins. C’est fragile ; c’est semence ; c’est plaisir ; c’est goût, puis dégoût, et rupture… L’histoire se développe sans cesse par la suppression de son produit ; qu’est l’histoire, sinon le mouvement qui supprime tout ce qui contrarie la marche de son développement, jusqu’à mettre en péril le diagnostic vital de la planète. L’histoire n’a pas disparue ; les vallées de larmes ne sont toujours pas asséchées.

Décor nu. On y voie comme une sorte d’œuvre. Mais, on ne va pas voir une œuvre, fut-elle artistique ; tout au plus, nous découvrons subrepticement, à travers l’huis de nos désirs, une sorte de courbure asymétrique qui la transfigure en portrait. On ne peut voir une œuvre ; toute exposition est insulte envers le langage artistique, parce que l’œuvre insupporte sa publicité. Qui ne voie dans son portrait, autre chose qu’un dégoût, peut se flatter de ne rien y voir que sa flatterie. Cependant qu’il devrait être possible d’y évoquer Maïakovski, après que de savoir qu’on ne peut l’évoquer sans ruiner l’idée du monde de la représentation, et qui est celui que figure l’Art, parce qu’il a su traduire le monde de la publicité des marchandises par le dégoût que lui inspira l’hégémonie de l’appropriation, celle des bestiaux modernes que la marchandise traduit par humanité, comme la fin de l’art, par cela que le monde est devenu une œuvre d’art, une représentation, un spectacle, la matière première qui fût à l’origine de l’humanité, son absence, dont on savoure le résumé sur un écran de télé. C’est excessif, parce qu’il n’y a d’humanité que l’absence de son expression. Voilà qui fait comprendre l’excès. Saisir les choses et le monde par le manque plutôt que par l’abondance ; voilà qui fait ombrage envers une incandescence. De fait, une lueur traduit plus un leurre qu’une luminescence ; c’est aussi qu’il est rare de voir une clarté qui ne trahisse son ombre. Je m’y installe, cependant, et quoique je n’éprouve de désir, que celui, bien fragile, d’être là parce qu’en vie. C’est ce qui fait moi, et entre moi et moi, il y a un monde qu’il est donné de ne pas ignorer. C’est aussi qu’on ne va jamais aussi loin que lorsqu’on est seul, devant son propre miroir, qui nous renvoie son portrait dénaturé ; C’est aussi cette défiguration qui me fait éviter la fréquentation d’indésirables. Voilà qui m’évite l’opprobre d’une déformation. C’est aussi que tout jugement ne sait naître que de l’incompréhension.

Comment, dans de telles conditions, l’autre viendrait à soi ? Et puis, une équidistance des relations est-elle concevable ? Il n’y a, là-dedans qu’une simple mesure respectueuse, plutôt que la possibilité de se comprendre. Mais enfin, on pourra toujours se demander ce qu’il y a à comprendre… Comprendre quoi ? … Comprendre qui ? A quoi bon… Quelques fois, çà forme écriture. On écrit pour séduire, parce que l’on croit en l’autre, afin, sans doute d’enorgueillir son émoi. Cependant qu’il est bon de ne se résoudre qu’au peu que l’on maîtrise, plutôt que de succomber à résoudre l’adversité par défaut de se connaître soi-même, parce qu’alors, il revient au vainqueur la résolution du vaincu de s’être laissé emporté par sa passion, et quoiqu’il en ignore la cause.

Pourquoi l’autre viendrait à soi, sinon par besoin. Mais, rien n’est plus détestable que celui qui vient ainsi dans sa nudité ; c’est aussi qu’on déteste rien moins que celui dont on n’éprouve aucune envie, aucun besoin ; et cela, par envie et par besoin, évidemment. Cependant que la vie a besoin de la vie, hors tout besoin.

Le malentendu est contenu dans le sexe ; le sexe n’a aucunement besoin de quoique ce soit, parce qu’il est désir et non organe ; On l’éprouve par désir ou dégoût, mais non par sentiment. Ce n’est pas de l’organe dont il s’agit, mais de l’idée que l’on s’en fait, et qui nous fait homme ou femme, indépendamment de nos attributs. L’autre est sexe, comme je le suis, par le comportement. C’est justement ce que l’on redoute le plus, de soumettre le sexe à ses désirs plutôt que l’inverse ; et c’est cela que nous aimons, ce que l’on redoute ; Et nous aimons cela plus par culpabilité de ne rien ressentir pour l’autre, en regard du trouble qui s’empare de notre âme, que de ressentir le plaisir qui nous occupe, alors que l’autre reste de marbre. C’est là, certainement, le plus manifeste des crimes. Ca provoque séparation ; ça produit l’éloignement. Avec le temps, l’éloignement se transforme en conflit, épuré de sa violence. Mais, alors, qu’est-il bon de vivre ? Trois heures de plus que trois nuits, ou seulement trois minutes qui ne deviennent une éternité ? En supposant l’instant comme expression de la vie… La vie, il faut en convenir, ne dure que l’instant de son éternité, lorsqu’elle est délicieuse, et qui s’oppose à l’éternité d’un instant, lorsqu’elle est accaparement, lequel n’est pas vie, mais captivité.

Le voyage de la vie est long et solitaire ; il est comme le marin dans une mer démontée. On le reçoit pour toute forme de puissance ; c’est alors que la loi s’en empare dans le but d’en réprimer sa liberté. Ca fait ordre, en lieu de l’énergie, et il nous dirige, par sa nature même, en nous maintenant dans les allées d’un couloir sans relief, enrobé d’espoir inaccessible qui tient lieu de conviction.

Le feu qui se veut débarrassé des impuretés de l’esprit de la vie, nous embrase alors, jusqu’à la disparition des consciences les plus avisées ; c’est paradoxe jusque dans la mort, à chaque fraction de secondes indéterminées.

Peut-être, nous faudrait-il ajuster la vie avec un fusil à lunette et un traité de cuisine, afin de maintenir à distance respectable tout ce qui fait écho de notre entourage recevable, à commencer par la nourriture, celle de l’esprit, mais aussi celle du corps. Je m’entends : il n’est pas lieu de convaincre ; on ne convainc jamais que ceux qui son convaincu, comme ce que l’on est soi-même. Et cependant, nous sommes prédateur plutôt que grégaire ; nous raisonnons avec des certitudes maintenues dans l’intestin et non par celles qui s’emboîtent dans notre cervelle. C’est ce qui fait notre cadavre exquis.

Alors, ça fait sexe. Tout ce qui touche à notre espèce fait sexe. Nous sommes une espèce sexuelle paradoxale, et jusqu’à présent, ce présent que l’on peut conjuguer jusqu’à demain, insurpassable. Nous déjouons ce paradoxe par cela que nous savons transcender le sexe procréateur en sexe masturbateur, afin de faire des jeux de l’esprit, un plaisir pure, en place du résultat d’un énoncé intellectuel. C’est le paradoxe du sexe, de ne s’épuiser que dans l’instant plutôt que dans son devenir. Là, je propose par l’exercice, la preuve de la résolution de ce paradoxe : arrêtez-vous un instant, chère lecteur, sur un olibos choisi dans l’expression d’un de mes fantasmes, afin de prendre la pose qu’il convient et vous asseoir dessus, non sans l’avoir, au préalable, préparé à l’accueil réservé pour l’exercice qu’il propose. Il n’est pas d’olibos que l’on ne saurait introduire sans qu’il ne soit bien graissé, à moins d’en accepter une douleur masochiste dont le goût ne ruine en rien l’exposé. C’est alors qu’il est bon de se laisser pénétrer délicatement l’anus par cet objet contondant, dans un mouvement suave de va-et-vient. Le plaisir, immanquablement, vient, et monte, et remonte dans l’intestin, pour jaillir dans la colonne vertébrale, et s’épuiser dans un orgasme cervical. Après, on se repose, dans un repos bien mérité, en attendant de se mettre nu devant le soleil, absolument...

Se mettre nu, face au soleil, et fermer les yeux… Se laisser envahir par la caresse obsédante des rayons du soleil jusqu’à épuisement… Par un après midi d’automne oriflamme… Et, brusquement, se faire prendre par un vît transcendant qui recouvre l’épiderme de son cul ; affolante sensation déraisonnable qui meurtri le plaisir de se sentir seul dans l’univers ; vertige insurmontable ! De ce sexe pénétrant, rien n’insuppose de penser que la Terre est la seule planète habitée de tout l’univers. Vertige de l’orgasme qui éclabousse le ciel étoilé de mille étincelles maladroites. En quoi cette hypothèse serait-elle moins crédible, moins imaginable que l’hypothèse inverse ? Effroyable perspective, peut-être, mais pour qui ? On m’accusera d’égocentrisme si j’en récuse la possibilité, et d’idéalisme si j’en conviens. Il faut, cependant, admettre que la Terre est au centre de l’univers humain, celui qu’on sait décrire, celui dont on tire la semence, celui dont la jouissance ensemence ; parce que c’est de la Terre que part toutes les hypothèses, et d’elle qu’elles sont vérifiées ou invalidées. Elle est comme l’oasis dans le désert cosmique, la seule où les sexes se reproduisent sans qu’une téléologie n’en vienne déterminer la raison, c’est-à-dire, une détermination, et donc, la finition. Ne pas admettre cet encadrement ne traduit qu’une galanterie de cocu.

On convient, généralement, que tout début possède sa fin. Voilà une hypothèse qui ne s’est vérifiée que lors des grandes invasions, depuis la disparition des dinosaures, et jusqu’à la disparition de ceux que l’orgueil Blanc appela Indien, par mépris de les nommer. Fonder une pensée sur la théorie de la téléologie est tout autant un leurre de l’esprit que son inverse, parce que, si toute fin détermine son début, rien ne prédispose un début envers sa fin. Il n’existe pas d’hagiographie qui ne fonde l’histoire.

Semblable à l’amour, qui s’achève dans l’orgasme, il y a fin dans un éternel recommencement ; non de la même manière, ni même avec les mêmes critères qui peuvent en déterminer sa véracité, mais toujours avec cette force brutale qu’il nous appartient, nous, espèce humaine, de maîtriser. Etrange libido qui contrarie nos sexes d’un mélange d’acide et de sucre, dans une violence adoucie par le plaisir de nos sens. Coït humide qu’un vagin, ou un anus, ou une bouche en désir peut inviter. Réceptacle du désir. Le pénis n’est qu’un muscle en force ; c’est au vagin ou à l’anus, ou à la bouche béante de désir, d’inviter, sinon à l’inverse, de feindre l’ignorance, entre gens de la même engeance, ou un refus froid entre gens que tout oppose.

Contrariété de l’amour, entre un sexe en demande et un sexe en désir, entre une bouche humide et l’objet quelle convoite, entre ce membre qui s’impose pour ce muscle qui dispose, où se trouve la voie navigable de ce paradoxe impossible à résoudre, malgré les formules de Zénon l’Eléate ?

Résoudre cet impossible solution par le refus de ressentir l’amour convenu… parce que l’amour, c’est autre chose ; c’est la confusion qui met nos organes en émoi. L’amour est une infraction. On entre dans le cœur par effraction, comme un virus s’installe imperceptiblement dans le réseau de son univers ; suave bonheur étrange… semblable à un viol nuptial, celui d’un sexe en désir qui veut conjuguer sa nature avec un sexe en demande.

Peut-être, changer la perspective de nos perceptions… Toucher la peinture, regarder la musique, entendre la sculpture… Mais, nous n’osons pas toucher, par crainte de se voir inféodé à l’opprobre d’une vindicte ; nous n’entendons rien, par crainte de se retrouver témoins d’un opprobre impulsif ; voir quoi, sinon ce que l’on nous reprochera sous l’opprobre de l’envie… Il faudrait écouter la musique, regarder la peinture, toucher la sculpture ; Nous n’écoutons pas, nous ne faisons qu’entendre ; nous ne regardons rien, nous ne faisons que voir ; nous ne touchons qu’un vide par défaut d’effleurer un rien qui nous rempli d’effroi. Nous sommes comme nu, désemparé devant la chaire d’un amant qui nous offre son sexe brûlant, gonflé de désir à la lisière de l’orgasme. On n’ose s’en approcher. On reste spectateur. Nous sommes spectateur de nos inquiétudes, afin de rester stoïque face à la pression de nos désirs. Nous sommes de chaire devant une vénus en bronze, dévêtue. On devient marbre alors qu'on est viande. On appréhende le sexe par crainte d’être nu devant l’opprobre des mécréants. Nos muscles érectiles restent recroquevillés, fermés, éteints. L’odeur de nos sexes se flétrie à l’arrivé de l’hivers pubien.

La vie est un film d’émotion. Puis vient le temps de la réflexion. On accepte la vie après l’avoir désapprouvée, pour finir par imposer son approbation par refus d’y réfléchir plus encore. Et c’est tard, très tard, sans doute même, trop tard pour faire un marquage avec ses repères, et définir ses limites. Alors, ça fait censure plutôt que critique, et le mal est fait, non par son acte, mais par sa définition qu’elle impose comme acte de finition.

La réduction d’un esprit de synthèse, réduit la synthèse de l’esprit à son unité.

Ca fait vieillesse par censure de l’usure de nos organes. La vieillerie n’a rien à attendre de la vie, n’ayant plus d’avenir autre que celui de son seul espoir d’être la pensée d’une critique reniant la critique d’une pensée. Les commandes de la pensée ne sanctifient pas la sanction de la pensée. Elles ne font que censurer la pensée. Et l’on ne censure que ce que l’on redoute, la concurrence, qui n’entre en conflit que par cela qu’on la reconnaît pour n’être finalement que l’expression de sa propre pensée. On cherche son public ; lequel n’est pas acquis mais dispersé. Et quoique l’acquiescement ne soit pas soumission, mais l’espace d’un moment aussi rapide que celui qui peut embraser une paire de tours pour en faire une paire de bougies. On acquiesce, et puis l’on refuse ; mais alors il est trop tard.

La jeunesse de maintenant peut s’identifier à la vieillesse par cela qu’elle exacerbe l’usure du temps, non en cela qu’elle pourrait se trouver blasée d’une époque qu’elle crut connaître, mais par l’ignorance qu’elle exige de se croire absoute des temps qui lui sont antérieurs.

C’est aussi qu’insoumission de confidence, n’est que soumission d’insuffisance.

Alors, la nuit tard se fait silence, pense-t-on ; sauf pour ceux qui la dégustent avec un plaisir chaque foi renouvelée. C’est aussi qu’on ne renouvelle pas l’impossible ; on le subit par défaut de connaître le possible.

Lorsque le soleil éteint sa lumière, mille petits feux d’arpège assiègent la peau comme autant de caresses nuptiales ; milles petits feux étincelants qui brillent dans les yeux, comme l’œil d’un faucon couvre la nuit. Mais, lorsque tout sera éteint, comme le suggère cette étrange petite créature qui s’approprie le sol et les consciences et que l’on distingue en cela qu’elle est humaine, que restera-t-il pour soi et nos progénitures, autre qu’un désert d’affolement ?

Refuser rechercher la sagesse dans un peuple ou une histoire hypothétique… ; moins encore faire appel à un démiurge, fut-il Le Zarathoustra. Non, rien de cela, mais un appel vers des frères de misère, bras armés obsolète de la conscience. « Et alors, jeune gens de la famine, ou donc se trouvent vos désirs ? Que faites-vous de l’amour tant convoité ? Que pensez-vous de la vie, sans l’amour ? » Sans l’amour, la vérité qui inscrit la vie est froide comme le marbre d’une pierre tombale ; sans la vérité, l’amour se réduit à un vaudeville inconsistant. Que devient alors le désir, sinon frivolité…

C’est aussi que la vie est froide comme la banquise lorsque l’amour se fait absence.

Se faire comprendre. Là, un phalanstère pour qui comprend plutôt qu’il désire. C’est peut-être la raison qui fait se recueillir sur son recueillement. En attendant, la vessie se remplie d’un alcool plein de vinasse, et c’est très désagréable. Mais, par ces temps troubles où il n’est même plus possible d’en appeler à l’alcool pour y trouver une sorte de vérité par la divagation de son esprit, tant l’autorité de l’Etat impose son dictat, une sorte de salubrité s’impose à son indisposition, afin de conclure à ses effets. C’est aussi que cette nuit, il fait bleu ; écrire nuit par temps bleu ; voilà qui assoupi. Savoir aussi se faire comprendre en cela qu’il faut s’adresser à des lecteurs, et non à des épluchures. Il fait bleu, cette nuit ! Il n’est rien, qu’un cénotaphe pour toute sépulture, voilà tout.

Balbutier dans une vie qui n’est que balbutiement, étant salarié, et pire encore lorsqu’on ne l’est que de peu, est troublant. Etre une vie faite du balbutiement de la vie. Combien de vies ont expurgé de leur balbutiement, leur inexistence… Plusieurs fois, sans doute. C’est long à écrire, parce que difficile à faire comprendre. L’écrire comme vient l’envie de chier. Au fond, au plus près du fondement, la vie est très près des intestins.

C’est aussi que la colère demande de l’impatience pour dire le temps qu’il lui faille à s’expurger du sensible qui l’étreint.

 

Opération de son théâtre :

Etre le moment de sa révolte ; on ne se rencontre jamais que dans la dissidence. Il n’est rien du vécu que la vie n’appréhende, par son exclamation même. Les amitiés durables ne se rencontrent qu’aux abords des conflits ; le plus beau des sourires ne charme que l’instant ; l’instant d’après vient l’idée. Idée plurielle qui conjugue le sobre à la causticité, le léger à la gravité, l’insipide à la saveur.

Quoi de plus naturel que la rupture…

La vie, ce que l’on conçoit comme vie, du batracien le plus infâme au mammifère le plus séduisant, de la plante la plus insignifiante à la pierre la plus coriace, se reproduit de rupture en rupture, dans la permanence de sa prédation. Rompre cette circularité, ce qui marque l’espoir des générations perdues, vaincus à jamais par deux grosses boucheries, dont le théâtre des opérations s’est circoncis à la déjà très vieille Europe, cette vieille mégère méprisable qui ne veut pas crever, s’est retranché derrière un bloc de béton armé, habillé du spectacle de nos illusions. Et chaque jour, l’irréalité du monde menace de nous ensevelir. Et nous nous en amusons devant l’écran cathédral d’un tube cathodique enduit de vaseline catholique. Sans doute, fallait-il atteindre ce niveau de mépris pour qu’enfin, devant un écran, nous nous sentions tranquillisés face à l’abondance de massacres diffusés. Il nous faut bien admettre que les bains de sang retiennent nos regards plus sûrement que la récurrence des coïts dégueulés par les films pornographiques. Etrange paradoxe que de vouloir mettre à l’index le spectacle de chaires enlacées, et de jouir devant l’étalage de cadavres ensanglantés.

Les manuels de sur-vie sont définitivement dépassés. Nous sommes les héritiers de la non-vie qui s’est imposée partout comme le règne d’une ineffable existence. Tant de joie, pour si peu d’esprit force le respect par mépris ou, comme il semble préférable de le vivre, par indifférence.

Et le temps, lui, passe sans obstacle. Parfois complice ; le plus souvent ennemi, il passe sur les traces de nos cendres. On aimerait l’arrêter avant, mais on ne sait que le stopper sur les plans séquences de notre existence. Il n’y a là rien d’arbitraire, mais bien tout en rapport avec nos fantasmes. C’est le lieu de notre imagination.

On a commencé par imprimer le temps sur du parchemin ; puis, de chemin en chemin, il est parvenu jusqu’à l’esprit troublé de Gutenberg, en cet an disgracieux de 1455. Première brisure… Plus tard, après bien des impasses, la science, ce dérivé de la philosophie, lui a donné l’absolution. Le temps est devenu une matière mesurable dont se sont bien vite emparées les lois fiduciaires, puisque la première fiducie fut rédigée sur des tables que Moïse éleva au rang de lois. Et, il revient à Gutenberg d’avoir imprimé le premier livre jamais écrit au creux du Moyen-Orient. Cela devrait nous dispenser de lire, puisqu’il est inutile de lire des paroles prophétiques dont le sens s’est perdu dans les rouages de la mécanique de l’histoire, et qui arrivent à nos oreilles de stationné sous forme de morceaux désassemblés. A moins d’abréger nos inquiétudes par des sermons.

Il pleut des bombes ; et les bombes sont fragiles comme le cristal. C’est ce qui les rend redoutables. Tout ce qui se brise, brise en retour. De la déchirure à la démembrure, qu’importe l’origine de tous ces fragments ; et quoique derrière chacun d’eux, se cachent des idées. On les imagine terreur, par défaut, sans doute, d’en saisir le sens. On est sous respiration artificielle. C’est protocolaire. On est sous embargo respiratoire. Alors, on respire. On ne sait, ni pour combien de temps, ni la raison véritable de cet embargo. On respire malgré nous.

Nous sommes intubés ; coït ininterrompu qui pénètre la gorge, et nous en sommes heureux, car enfin on respire. Il faut savoir qu’aucun bonheur, que dis-je, qu’aucune jouissance n’atteint le niveau d’absolu orgasme que celui que procure la rupture de la respiration artificielle aussitôt rebranchée, des à-coups semblables aux hoquets provoqués par l’orgasme. On vie sous le règne d’une terreur indolente.

Cependant, rechercher la jouissance futile d’une mécanique défectueuse ; apnée du peroxyde d’azote, parce qu’il faut faire vite, parce que la vie est courte, et que nous nous en allons plus sûrement que nous désirons rester. Qu’y a-t-il à regretter ? Rien à retenir, juste le déplaisir de laisser par dévers soi une somme indisponible d’idées resté inachevées, parce qu’il est mieux de servir à temps le repas attendu, afin d’éliminer les restes avant la fin de la journée.

Attendre l’heure d’un jour nouveau, comme on attend une descendance qui vient confirmer sa présence ; une clarté très spéciale qui illumine l’horizon d’un spectre inféodé qui parvient à dépasser le temps, non par une vitesse excessive qui abolie l’absolu, mais par une approche fractale d’une rupture structurale.

Et le soir venu, écouter l’approche du jour comme Dostoïevski attendait la conscience.

Ah, conscience ! Arrachée du néant. Elle se fixe dans l’esprit, comme le pou s’installe sous les aisselles, et ne s’en éloigne qu’à la mort venue. Alors ? Qu’y a-t-il à rechercher ? Rien ! que le néant. Vaste amplitude. Pour qui ? Son néant exigu. Faible amplitude.

C’est la guerre. Ce n’est rien, que la guerre. La guerre n’est qu’une variante diplomatique de l’état de paix, non sa contradiction. On n’aime rien moins que la résolution des contradictions, à la manière de celles rencontrées dans les théorèmes ; terminer les conflits, parce que ça tend nos organes génitaux. Ah! Comme c’est bon de ressentir toute la force contenue dans la démonstration de la vérité d’un théorème peu vérifié, mais si juste que l’on puisse mourir pour cela ; Et tant pis pour ce génie d’Evariste Galois, dont la vie fût brève, victime d’une infâme coquette. C’est que la vie se présente par des rapports de force que la civilisation prétend neutraliser, parce qu’elle n’en est que la perversion pacifiée.

Ce soir, ce soir unique qui ne peut se présenter à nouveau, dans la nuit enveloppante, la moitié de la lune est accrochée dans le ciel, tandis que l’autre se dérobe à l’inquisition des regards fiévreux. Les nuages lui font révérence. Point d’altérité. Juste un demi-cercle qui illumine l’horizon d’une nuit s’annonçant. Prélude à une nuit sans sommeil.

Finalement, il n’y a de vérité que la victoire de son propre mensonge, sur celui de l’autre que l’on redoute. C’est cela, le sens de la guerre, celui de deux vérités qui s’affrontent, et dont l’issue détermine celle qui a raison, contre le tort de celle qui a cru en sa véracité. Le général de l’armée de ces ombres le sait bien, lui, dépourvu d’armée, et donc, n’ayant aucune ombre pour le protéger. Il le sait mieux que quiconque, parce qu’il ne croit en rien, pas même à sa propre incroyance, pas même à l’ombre de son soleil éteint. Il échappe ainsi au clapotis des immondices qui croupissent à la lisière des étangs cloacaux qu’un soleil en vie échauffe.

A défaut de conviction, l’ambitieux peut éventuellement se doter d’une armée, afin de régner. Son mensonge sera cru parce qu’il s’exécute par la loi, cet ensemble d’aphorismes qui ne connaît rien en dehors de lui. Et sa force de conviction sera pénétrante d’autant qu’elle disparaît derrière le joug de son absolu certitude, par cela qu’elle montre le contraire par défaut de n’être que cela. Et ce règne, qui se montre pour le plus égal de tous, en cela qu’il prétend n’être en rien despote, est le plus despote de tous, par cela qu’il s’appuie sur la naïveté de ses sujets afin qu’ils en soient son objet. La vieille langue grecque appelle ce règne, démocratie.

C’est cela le règne parfait, cette absence d’absolue qui se présente comme l’absolue absence d’un règne.

Il y a bien des erreurs, dans les relations humaines, qui n’aient jamais été écrites ; mais, peut-être que la plus inconséquente de toute, reste la fidélité. Mal comprise, mal écrite ; surtout envers l’amitié. En l’amour, la fidélité est comme une sorte de mensonge courtois, tandis que dans l’amitié, la fidélité s’identifie à de l’attente, un sacrifice du temps. On vieillit discrètement tandis que l’on identifie cette attente à la fixation d’un moment. C’est un leurre partagé, de l’un vers l’autre, par croyance de l’un à l’autre, et non par amour de l’un pour l’autre. Au nom de l’amitié, bien des maladresses ont accouché d’un désastre.

Et, qu’y a-t-il de plus impardonnable que de vieillir ? La vieillesse produit un relief stratifié qui ne sied qu’au poète le plus maudit de son propre habitacle. Qu’est-il donc, ce poète, sinon cet être devenu chose parce que mort avant d’être connu… Un leurre de plus sur la balançoire des illusions.

Il fallait bien une chaise, à ce père trop vieux pour être fouettard ; le sang de la Commune s’est coagulé sur les vieilles pierres de ce Paris nostalgique, sans doute pour y conserver le souvenir de la cruelle répression qu’elle subit. Comme pour toute acte qu’on oubli, mais qu’on refuse de néantiser ; et quoique point de « Viva », ni de « Hourra » ; moins encore d’ »Alléluia » qui devraient remplir l’atmosphère de leur chaleur crépusculaire. Comme aux jeux du cirque des stades modernes, soutenant l’enthousiasme d’une jeunesse qui espérait en des jours nouveaux, mais qui n’a su accoucher que du bagne, de la torture et de l’oubli de centres pénitenciers. Odieux et insipide oubli qui résume le crépuscule de ses journées que la mémoire retient comme fastueux. La mémoire s’amenuise d’année en année ; elle n’impose plus l’histoire ; la Commune est enterrée avec ses fédérés, sous les décombres de sa défaite.

Ce siècle de la haine et de la convoitise a enseveli la poésie. Le soleil, depuis lors, n’éclaire plus le ciel qu’avec une teinte blanc-glaciale qui recouvre l’horizon. Une odeur âcre en émane, qui rappelle celle d’une viande grillée dans un four, le dimanche, après la messe. Chaque dimanche, le rituel de la crémation s’exécute avec une récurrence qui force le dégoût, dans tous les foyers composés de familles de prolétaires à la gueule de porc rougie par le mauvais vin, entre la messe et le match de foot. Puis, ça rote dans un bruit sonore bestiale. Le lendemain, le marteau s’abat sur l’enclume, alors les rires de ces gueules de bois se figent dans un rictus de labeur. La sonnerie de l’usine nous rappel à l’ordre dans les lundi gris de la soumission. Alors, dans un brouillard à peine dissipé, chacun s’affaire à son atelier, afin de procréer de la marchandise dans une copulation frénétique qui interdit l’orgasme, parce que le labeur ne doit jamais atteindre le niveau de la jouissance pour se reproduire à l’identique. Coït interrompu, le va-et-vient de l’organe-machine-phallique donne la cadence au mouvement, dans une accélération qui fini de nous épuiser. Plus vite, toujours plus vite, voilà le maître mot du sens du travail. Son organe femelle éventre ses produits sur le marché ; il l’inonde, se répand au-delà de toute saturation, et la vie disparaît petit-à-petit sous un amas de tôles froissées. Les fœtus s’additionnent, les uns sur les autres, emmaillotés par une marque de machine à laver la mémoire plus blanc que la cervelle la plus blanche, de sorte que la moindre tâche est rejetée comme immondice. Cette immondice, cette étrange immondice, ne confirme pas une règle, mais l’invalide. C’est le propre de l’immondice que de rendre l’exceptionnel impropre, c’est-à-dire, invalidante. Il nous reste à tenter de gravir les échelons vers la liberté, un à un ; aller jusqu’au bout de cet escalier. Mais, jusqu’au bout, on ne sait pas où cela s’arrête.

Aller jusqu’au bout de la mémoire, en sommes. Mais, il n’est rien que la mémoire ne retienne. Rien. Nous fantasmons sur des souvenirs évanescents. Cependant, c’est avec cela qu’on se forge des certitudes. Rien ne reste, pas même la vie, qui produit de la mort à chaque renouvellement de son excitation. Rien ne reste, non par maladresse, mais par ignorance.

Une sorte d’autorité s’exécute, qui ne traduit rien de la mémoire, plutôt son absence... ou sa censure. L’autorité se charge de la mémoire par la soumission, qui s’en décharge. C’est ainsi que la responsabilité de la vie est partagée entre le manquement des uns et la faiblesse des autres. La suffisance ressoude les deux camps qui pouvaient se croire opposés, alors qu’ils ne sont que complémentaires. Chacun trouve sa place, sur l’échiquier de la vie, et la partie se joue, du plus fort vers le plus faible, non par moquerie, mais pour consolider un pouvoir déjà ferme, afin de tenir à l’écart ces pauvres qui se transmettent leur pauvreté, comme une maladie héréditaire, de génération en génération. Et il ne semble n’exister aucun antidote, puisque toutes les révolutions possibles n’ont même pas su trouver le chemin qui les menait vers le soleil radieux d’un imaginaire espoir. Sans doute, la jaunisse de la soumission étouffe les couleurs de l’insupportable, de sorte que la révolte n’apparaît qu’en négatif, comme le clair-obscur épuise le soleil froid de notre désert nocturne.

La question qui devrait venir à l’esprit n’est pas de savoir où nous en sommes, c’est-à-dire, où je suis moi-même, mais bien d’être là où nous sommes, comme je le suis moi-même, et d’en comprendre la servitude et la désolation, afin d’en ruiner les conséquences sordides. Mais, est-ce encore possible ?

Où sommes-nous ? Dans ce quelque part qui identifie l’esprit de la géographie à la géographie de l’esprit. Les saisons s’accrochent aux aspérités, comme la comète poursuit inlassablement sa propre queue. N’y aurait-il donc nul part où aller ? Qu’en déduire, sinon que la vie poursuit son parcours, comme l’escargot dévore une feuille morte. La vie se nourrie de la vie, voilà tout. Chantier d’un zoo. Mais, c’est cela qui nous fait admirer les marchandises, jusqu’à, parfois, mourir pour elles. Elles sont si belles, à travers la devanture d’un magasin, alors que la vie s’épanouit sur ses propres excréments.

Le monde de la marchandise, notre monde, celui qui nous a vue naître par inadvertance, est l’expression absolue du monde organique. Le devenir marchand du monde est identiquement le devenir monde de la matière organique, que l’on retrouve à l’état de coagulation sous forme de marchandise. La mécanique des organes se montre pour ce qu’elle est, celle de l’organe de la mécanique du monde.

La projection du futur, qui est aussi bien l’identification au désir, trouve sa solution dans la mécanique de l’espace, moment étroit de l’espace d’une mécanique. Il y fait temps ; on en fait histoire. Il reste à graisser les rouages. Il faut donc, lecteur, le traduire pour toi, par le privilège du temps que tu accordes à lire cette missive: c’est de la vie dont il est parlé, et de la vie dont il s’agit de disposer.

Requiem pour un amour attendu.


L’œil effondré ; l’haleine fétide ; la verge mollasse, les seins pendants... Voilà l’oreille avertie de l’état des lieux. Chacun se montre comme il est, malgré le glaçi de notre masque sortable. L’histoire se répète inlassablement derrière le masque. La première fois ne fait que démontrer la seconde, par sa répétition même, et non parce qu’elle l’a invalidée. La seconde fois que l’on se rend à l’évidence de notre image, ce n’est que sous forme d’annexe à la première fois, et non comme reproduction. Et pourtant, le reproche le plus véhiculé est celui de se répéter. C’est aussi que chaque moment de l’histoire n’est qu’un détail qui ne se révèle que dans ce qui le rempli : le temps, dans l’éternel retour des saisons qui marque l’affrontement dans l’effronterie. L’état de ce que chacun est : la manie de ses petites vengeances ; une mesquinerie sur le plateau de notre soumission. Cela fait pleuvoir la vie de tristesse.

La vie pleut.
C’est du sang; non de l’eau.
Le sang est la vie ; comme l’eau !
La vie, sans pluie, sèche,
Comme le sang !
Et le sang sec fait sexe flasque.
Douleur atmosphère ;
Désir impossible !
Mais,
Le cour d’eau
Asséché
Reste dans son lit,
Au creux de son néant !
Comme le sang.

Lorsque ça pleut, ce n’est pas d’abondance, mais de tristesse.

Alors ?
Vivre… ?
Vivre quoi ?
Vivre pourquoi ?
Vivre pour qui ?
Vivre qui ?
Vivre… ?
Alors,
le temps dicte la destiné dans l’entonnoir de son espoir ; il s’y vide, jusqu’à n’être plus rien. La destiné échappe ainsi à elle-même. On l’appréhende comme un mérite sanctionné par le degré de soumission au labeur salarial. Il ne reste aujourd’hui de temps, que celui du labeur salarial, qui nous dicte sa suffisance, sous peine de misère et de mort. Le temps n’est plus celui qui pouvait peut-être rester à ceux-là qui avaient même perdu leur demeure, parce que le temps d’aujourd’hui s’identifie à la soumission, au point de s’y substituer. Le temps n’est plus rien. La soumission est tout. Le rien de ce tout est la liberté de ce temps qui n’est plus rien.

Architecture du néant. Rien ne m’appartient, pas même ce temps devenu labeur, sauf peut-être cette inapartenance que l’on peut, parfois rencontrer au bout du monde, au bout de son monde, celui de l’obscurité d’une nuit qui éclaire le sommeil avec des rayons de rêves indéfinissables.

Lorsque la matière est fortement sollicitée pour les travaux les plus pénibles, une partie de l’esprit s’éteint, et il faut un temps de repos confortable pour retrouver enfin l’intégralité à la disponibilité de cet esprit qui souligne l’être, dans son entière disposition. La première loi de tout être est de se protéger afin de vivre ; mais, si vous semez du poison en prétendant voir pousser des épis de céréale, ne vous étonnez pas que des travaux, et même parmi ceux des moins pénibles, il n’y ait que mort qui en éclot.

Ne voyez pas, dans ces propos, une séparation si chère aux tenants de l’esprit de réaction, qui consiste à distinguer par un mur étanche, l’intellect de sa force musculaire, mais bien autre chose, et qui n’est pas l’inverse. Je veux faire comprendre qu’il y a une distinction à faire entre la création qui fait de la matière, de l’esprit, et le travail, qui réduit l’esprit à sa matière ; la matière de son esprit n’est pas l’esprit de sa matière. C’est aussi que le concepteur ignore totalement la richesse de l’exécutant, par cela que l’exécutant ignore la richesse qu’il produit, et qui n’est autre que l’idée contenue dans celle du concepteur. Le concept est le nœud d’un problème sans solution. C’est pourquoi, tant que la philosophie méritera un nom, nous mériterons les rapports de classes, et l’âpre lutte qu’elles engagent pour la survie.

C’est que la nature de la séparation est absolue, et par ce fait, requit l’ensemble de toutes les séparations particulières, afin de les réunir dans des sous-ensembles qui prédisposent de l’arbitraire assemblage de lois. Il se trouve que rien ne peut échapper à l’arbitraire de la séparation, et au monde qui la représente. L’exclusion, en ce cas, est équivalente à la sentence d’une peine appauvrie par son verdict : la mort.

Il est vrai que L’intellectuel et l’ouvrier, corpus d’un monde prédisposé aux définitions qui le disposent, chacun dans leur rôle particulier, afin de sentir comme un vent léger souffler dans leurs incertitudes réciproques, ne sont que des exécutants, et non les théoriciens de leurs propres actes. Ils ne sont, de l’un vers l’autre, que seulement amputés de l’un à l’autre.

Le théoricien est dépendant de l’exécutant de sa théorie, cependant que chacun ignore l’autre dans un égal mépris. Cette ignorance est le secret de la dépendance absolue. C’est ainsi que chacun se croit libre, dans une presque parfaite combinaison de l’un hors de l’autre, dans une réciprocité incontrôlée, et donc, inavouable, par défaut d’être admise, puisque chacun s’éloigne par ce processus, croyant s’affranchir d’une autorité qu’ils ne maîtrisent pas, par le joug de dispositions qui les justifient.

L’isolement, l’éloignement, c’est-à-dire, ce qui produit l’atomisation des individus dans la négation de leur être, est le secret de la dépendance. Etre dépendant ne peut se faire que sous un système de séparation qui produit des individus à trois pattes, et non des hommes debout, en fonction des combinaisons les plus adéquates à son exécution, la plus parfaite possible selon les régimes de séparation qui possèdent leur mode d’emploi d’amincissement de l’esprit. Et l’activité qui produit la dépendance est le travail. C’est, sans doute pour cela que la séparation entre l’ordre de la dépendance, et le désir, par nature indépendant, prend la belle teinte de l’histoire, la couleur du sang dans leur rencontre explosive et éphémère. Si la lame qui prolonge un manche, tenu par les doigts qui prolongent une main, venait à s’exercer entre l’ordre donné et l’ordre exécuté, l’histoire alors prendrait les couleurs vivent de l’été ; elle en finirait avec le sombre obscur de sa glaciation obsessionnelle.

Stupidement, l’histoire se rappelle à notre mémoire sous la forme d’un éternel recommencement, une sorte de fixité qui s’amuse du temps, croyant déterminer une évolution alors que jamais ne s’établit une transformation visiblement différente de ce que fut, dès l’origine, le comportement humain. Que sont les gueux d’aujourd’hui, sinon les mêmes, en pire que ceux d’hier ? C’est le mouvement vers le futur dont le destin marque un temps d’arrêt dérisoire, quoique déterminant, avec autorité, de sorte que rien n’est l’égale d’hier, et bien que tout en soi sa reproduction. Seule la morale que l’on se donne distingue la cruauté de la civilisation ; non la civilisation elle-même, dont la cruauté est un des éléments de sa démonstration de puissance, qu’illustre au-delà de toute espérance, l’application civilisatrice de ses guerres modernes.

On devrait vivre plus loin, mais on s’éloigne, chacun, dans un raccourcie de la vie, la rendant plus qu’inutile : nuisible. La vie devient nuisible à elle-même ; l’histoire disparaît comme le clair-obscur au loin de l’horizon, dévoré par cette nouvelle vie si inattendue : une fonction reproductrice, un va-et-vient sexuel qui anime sa structure mécanique ; un assemblage d’ossements squelettiques.

Ne pas oublier qu’à défaut de réaliser un projet, il a d’abord été conçu. Aujourd’hui, on réalise des projets insensés, conçu sur des désirs improbables. La frustration dirige la conscience par l’absence de sa définition.

Ma tête est contaminée par le salariat, comme l’hépatite envahie le foi. Encore quelques temps ; il n’en sera plus. C’est que l’oubli est de rigueur lorsque le passé est sans profondeur. C’est aussi qu’il est pénible de se savoir n’être rien, lorsqu’on est entouré de gens conservés dans le formol de leur insipide formule qui les fait se croire être tout. Dans la hiérarchie, le mieux d’une idée se confond avec l’idée du mieux ; pour accoucher de la pire des possibilités, et qui a pour conséquence, le pire des accouchements : la liberté dans la soumission. Alors, que devrait-on faire, sinon tuer la bête… Il y a bien des techniques d’éradication ; elles ne sont pas satisfaisantes. Il y manque comme une sorte d’efficacité ; leurs convictions. Alors, ça forme manque ; ça, est produit de la séparation puisque, en retour, ça, produit de la séparation. La conclusion s’identifie à la folie. Elle s'y identifie par cela même que rien ne semble possible qui ne soit en action, et qui ne soit fou. Comme la guerre intestinale de colons de fabrication U.S.A., comme d’autres fabriquent des formulaires à l’image de saucisses de Strasbourg. Ca produit séparation par conclusion d’identification à la folie. On ne s ‘y soustrait qu’envers une marque de folie plus envahissante encore; Une folie telle qu’elle n’apparaît que sous le joug de l’idéalisme ; transfert d’une teinture vers une transparence, parce que l’organisation de la vie n’est qu’apparence.

Devenez femmes, assassinez la mère ; devenez homme, assassinez le père. Quand donc comprendra-t-on qu’une chatte préfère les caresses légères d’une langue, à toutes grotesques promesses de grossesse ? Etre soi, c’est assassiner sa représentation. La chatte aime le plaisir, et non le travail d’enfantement parce qu’il est douleur et non désir. Et quoique l’on se convainque du plaisir, par cela qu’il est une liberté de conviction, et non une conviction de liberté. Le sexe du plaisir n’est pas celui du devoir. C’est aussi pourquoi on maltraite le sexe qui n’enfante pas. Il est perversion structurée du labeur conjugal. La vie est empoisonnée sous les effets pervers de la confusion. On en incrimine l’alcool. Evidemment ; EVIDEMMENT ! On dit : il faut arrêter l’alcool, en feignant ignorer que c’est la vie telle qu’elle se développe, qu’il faut arrêter. L’alcool est un poison, parce que la vie est devenue insalubre.

Il arrive avec du hasard, parfois, deux étranges étrangers, la sueur collée sur la peau, chacun face à face, à la recherche d’une lueur d’intelligence, comme les chiens en période de fécondité recherchent l’odeur suave de leur sexe, en reniflant le derrière de leur congénère, afin qu’ils se rencontrent. Ils se rencontrent, comme les chiens, à l’odeur de leur sexe, parce que la vie a les couleurs des yeux, tantôt bleue comme le ciel, et tantôt noire comme les ténèbres. La vie… Mais, la nuit recouvre souvent de son manteau noir, le bleu de l’horizon, et les ténèbres se chargent d’opacité. Au bout, cependant, le ciel gris d’un cauchemar finissant. Et toujours, dans un éternel recommencement, l’alternance du gris et du bleu, recouvert d’un blanc linceul de nuages épais.

Dans cette étroite collaboration particulière, tout manquement se traduit par une reconnaissance ou de l’insulte, mais non par de l’indifférence.

Certes, on me reprochera, avec une facilité qui frise la puérilité, d’être fidèle à moi-même par l’inlassable répétition de mon discours. Mais, que ne me reprocherait-on d’y être infidèle… La permanence provoque sa propre contradiction, en cela qu’elle se dit dans le temps. Il n’est rien d’hier qui soit identique à aujourd’hui, et quoique rien d’aujourd’hui, ne contredise hier. La permanence est contradictoire en cela qu’elle se développe dans le temps, mais non avec, parce que le temps n’est pas une donnée étrangère à l’homme, mais le siège de l’histoire, le lieu de tous les affrontements que rencontre les hommes, pour se déterminer en tant qu’homme. Le monde cristallise ce lieu en un point qui ressoude la permanence de la contradiction avec la contradiction de la permanence ; un point de fuite inaccessible, et donc apaisant, qui se trouve hors de l’histoire : le salariat. Le salariat est le point central qui rempli ce rôle d’apaisement. Et moi, je ne produis que ce que je suis, étant ce que je suis par ce que je produis : de la réflexion et de la colère, de la critique et du refus. Inlassablement. Tant pis pour les impulsifs de la nouveauté qui ne découvre rien, n’étant réduit qu’à la découverte d’eux-mêmes dans les marécages de ce qui les surprennent, ils arrêtent l’histoire de leur vie à la lueur de leur médiocre histoire, par idéalisme ; tant il semble mieux rêver sa vie, plutôt que vivre son cauchemar.

Mais, la vie, la vie ordinaire, celle qui ne présente aucune aspérité, qui charrie le temps dans un monotone monologue monocorde, est une calamité ; on fait confiance au tout venant, se sachant rébus. Puis, vient la famine, famine de sexe, d’amour, de tendresse… Ejaculation précoce ; maladresse des novices en une matière si spongieuse, qu’ils avalent tout sans discernement, sans méfiance. Alors, ça forme tempête dans l’esprit. Puis, après la tempête, vient le désert. Après la certitude, le renoncement. De la haine au mépris, pour un même carnage. La géographie séculaire de la vieille Europe veut imposer son monde comme seul valeur du bien, et par mépris du beau. La beauté du sexe, sous les douze coups du marteau de la loi, se transforme en sexe du mal. Sachez le une fois pour toute, le beau est toujours l’ennemi du bien ; et le sexe ne saurait s’accommoder de la morale.

L’extravagance du temps efface les mots. Puis, les mots remplacent le temps : les os témoignent de cette maladresse. Les charniers le démontrent.

Et cela est beau.

Il y a concentré de plaisir. Il est plaisir par celui qui offre son esprit. L’autre n’apprivoise son monde que par l’accaparement. C’est aussi que soi sans l’autre oubli l’autre de soi dès l’apparition du soleil ; ce soleil bleu qui blanchit la chaleur hivernale qui survient par l’horizon de nos instincts. Blanc glacial de la nuit…

Ca fait solitude. Il nous faut apprivoiser la solitude, sinon elle envahit le réceptacle de la conscience comme un poison détruit des oasis. Et cette indolore solitude devient effroi. Etre seul, ça veut dire, du temps. Du temps pour découvrir l’impossible vérité qui nous étreint : soi.

Entre véhémence et mélancolie, d’aucun comme moi, recherche l’avenir par défaut du présent, parce qu’il n’existe que dans les alcôves du purgatoire de la raison lancinante, celle qui distingue la responsabilité de la liberté, faisant de la première, la qualité de la seconde, par la négation de la seconde, afin de rendre vrai la première.

Nous voulions trouver la philosophie, ce temps inépuisable de l’avenir, et nous n’avons su créer que de l’enferment. Voilà un paradoxe insurmontable ; alors même que nous désirons la liberté, nous l’enfermons sitôt que son expression se trouve dénudée, afin de la domestiquer. Domestiquer la liberté parce que sa chaire nue trouble. De la domestication de l’être, à son enfermement ; effacer la liberté, comme on efface le superflu d’un simple coup de gomme. Nous sommes arrivés à ce paradoxe d’avoir fermé toutes les issues, afin de se prémunir contre la liberté qui devait gouverner notre esprit. La vigueur de la création s’est renversée en rigueur du travail, et la liberté a disparue.

Nous ne souffrons pas, pour autant, de cette disparition, car c’est là la magie de la disparition de faire oublier l’objet de sa décision, pareil à l’orphelin, méconnaissant ses parents, ne saurait à leur égard, éprouver une quelconque nostalgie.

C’est en cela, cet anéantissement, qu’est contenu le possible de notre domestication. Nul n’ignore qu’il est aisé d’élever un fauve né en cage, plutôt que de dompter son parent capturé dans la plus audacieuse des aventures. La domestication d’un fauve le handicap de son instinct ; et quoique son instinct puisse, dans certaines circonstances, faire surface subitement, mais alors, il sera abattu aussitôt par ses propres maîtres. C’est qu’il n’est pas possible de penser la liberté, non parce qu’une telle pensé rend le possible discutable, mais parce qu’il ne peut exister de possible envers l’esprit de liberté. Il n’est pas concevable de s’évader de son enfermement ; la ménagerie a ses règles qu’il est dangereux d’enfreindre. C’est là le secret et le contenu du ménage. On se met en ménage pour ce peu de réalité, et un trop plein d’illusion. Il n’est à craindre que de ce trop peu de réalité contre l’autre, parce qu’alors il devient un peu trop de réalité envers soi-même. Il est exceptionnel d’enfreindre des lois que l’on a si bien adoptées, pour des lois envers lesquels nous sommes si mal adapté.

On ne s’évade d’un système d’enfermement qu’au prix de sa vie, et qui est le risque contenu dans la liberté.

Il n’est pas besoin de mémoire pour comprendre la vie, parce qu’il n’y a rien à en retenir. Ce que l’on en retient est ce que l’on est, et cela oblige à faire ; de sorte que la mémoire s’adresse à la nécessité plutôt qu’à ce qu’il est convenu d’être appelé art, hors même de la signification de ce concept, et bien qu’on l’en déduise par le présupposé de la définition de la mémoire, par négation.

A y regarder de près, la mémoire est bien plus souvent synonyme de témoignage, plutôt que celui de plaisir ; on ne se souvient qu’avec difficulté de l’heureuse générosité de nos heures merveilleuses, alors que nous avons en abondance la mémoire des jours néfastes. C’est aussi que, ressentir une sorte de bonheur pour quelque circonstance, nous apparaît comme trop vrai, en regard du plaisir d’avoir vécu ces circonstances. C’est cela, ce plaisir qui produit ce bonheur, que notre mémoire ne veut pas retenir. Tout semble opposer plaisir et mémoire, à commencer par l'amour, dont on retient surtout le moment de notre éloignement.

La mémoire se conjugue avec le deuil, de sorte qu’on va jusqu’à faire le deuil de ce qui doit retenir notre souvenir. Et pourtant, sont-ils si terribles, ces enfants de Cocteau ? A moins qu’ils ne soient si gênant pour le confort de l’esprit mercantile, que nous en ferions bien le deuil de leur mémoire…

L’absence ainsi marquée, fait l’insatisfaction. Mais, on en retient le ressentiment plutôt qu’en provoquer la critique. Il est vrai que la critique s’expose à la vindicte par cela qu’elle est publique, tandis que le ressentiment s’exprime dans le secret de son âme. Tout ce qui est rendu publique, est vécu comme reproche, tandis que le secret de l’alcôve préserve de son indignité. C’est aussi que la critique est un moment de la révolte, forme singulière dont on se moque lorsqu’elle n’apparaît pas comme telle, et qui effraie, lorsqu’elle devient réalité.

Il devient urgent de se poser la question de savoir où se trouve le lieu commun de tous les êtres, à l’abîme d’une roche qui surplombe l’océan, ou chez Proust ? J’ai ma réponse. Elle est trop inquiétante pour que je puisse me permettre de la livrer sans précaution.

Voilà par quoi je commence ma réponse : la prétention ordinaire n’est qu’une prétention de petite notoriété devant la soumission de son valet, et non une prétention établie sur la réputation de ses capacités. Il s’agit de l’intégralité de sa propre permanence, en dehors de laquelle, nous ne pouvons être permanents qu’envers la soumission, comme le valet pour son maître. Nous-nous devons de ne prétendre que pour soi-même, et non par l’exécution d’un ordre, fut-il légitime. La loi ne rend pas digne, mais respectueux.

La prétention divise le lieu commun de tous les êtres, parce qu’elle les charge d’arrogance. Et, l’arrogance produit le mépris. La division est le lieu commun du mépris, parce que son champ d’activité a pour objet la néantisatisation de l’autre, cet être extérieur à soi dont l’existence menace l’intégralité de soi, soi dans son intégrité, de ce qu’on imagine être son intégrité, mais qui se manifeste de manière égoïste, c’est-à-dire contre l’autre. L’idée que l’autre est une menace plus qu’un ennemi, ne peut s’établir que sur le terrain de la démocratie, qui ne reconnaît ses ennemis que hors de sa sphère d’influence, c’est-à-dire là où, selon le langage de la démocratie, se répand le tiers-monde.

Le terrain de cette prétention, celui que le profane appel démocratie, par antinomie avec théocratie, bien que son objet soit de même nature, celui de la soumission à une croyance supérieure qu’évoque un dieu ou l’argent, est le terrain de la dictature, quel que soit sa formulation, démocratique ou théocratique. La dictature de la démocratie se manifeste par une hiérarchisation consentie des esprits, tandis que la démocratie des dictatures impose son principe en ignorant le consentement des esprits. L’une est la négation abstraite de l’individu, qui se manifeste par la privation; l’autre en est sa manifestation concrète, qui se manifeste par l’élimination. Mais, le but est le même, celui de l’exercice d’un pouvoir sur l’esprit, et qui se traduit par la possession absolue de la richesse ; richesse partagée entre les nanties, contre les déshérités. Le terrain de la suppression de ces conditions absolues, est celui de la révolte envers la démocratisation de la dictature ; le terrain de la démocratisation de la dictature est celui de l’argent, parce qu’il procure pouvoir et jouissance. C’est le terrain de la guerre dont se doivent de s’emparer les déshérités, afin de jouir de la vie avant de mourir, plutôt que de mourir avant d’en jouir. Mais, les déshérités, par nature, sont étrangers à la jouissance. C’est en cela qu’ils ne peuvent émettre l’hypothèse d’une révolution. Ils désirent seulement être reconnus dans une sorte de dignité, afin de continuer vivre de leur passive tranquillité. C’est qu’il est toujours plus prudent de vivre à l’ombre d’une autorité, plutôt que de provoquer le soleil de la liberté.

Toujours, les temps se sont conjugués avec la démence paranoïaque et mégalomane de ceux qui ont voulu s’en approprier la direction, jusqu’à en épuiser le sens. On chercherait en vain à tenir le cap d’un bateau par le seul pouvoir de son capitaine, malgré la conjoncture des vents et des marées. C’est pourtant là, l’origine de l’idée de l’Etat. L’Etat est un outil au service du dérangement de l’esprit, comme l’est le capitaine ivre sur son navire. L’Etat, pas plus qu’un capitaine, n’est le protecteur d’une nation, mais seulement le gouvernail de cette nation, en marche vers une destiné strictement réservée à ceux qui en ont la maîtrise, par cela qu’ils en sont les possédants, contre ceux qui leur sont soumit. L’Etat est un outil au service de la mégalomanie et de l’appropriation, et non le protecteur de la raison, par cela qu’il est l’émanation de la nation. Hors, il ne peut exister de nation que dans l’adversité. L’Etat est ce qui unis la nation, mais il l’unit dans la séparation. La nation est ce qui divise l’Etat en autant de culture qu’il y a de peuple. La nation soumet les cultures qu’elle juge étrangère à sa nature qu’elle veut émancipatrice, en opposition à l’Etat qui soumet toutes les cultures en conservant, dans l’apparence, leur diversité. Et le temps réuni l’ensemble dans la dissimilitude de leur antagonisme. Nous vivons les temps du spectacle qui règne sur un peuple disparu dans la mémoire de son histoire.

Ecouter Chopin, alors qu’il est mort depuis bien longtemps…

Il est inconvenant de s’abstraire de la folie Chopin, parce que la vie est brève malgré l’éternité promise de la mort.


Mon dieu, comme les chiens enflent, alors qu’on les aime tant lorsqu’ils sont tout petit. Voilà tout ce qu’est la nature humaine, cette nature pleine de chiens qui enflent lorsqu’elle vieillit ; si pleine de crottes qui ressemblent au jeu de la marelle de notre enfance…C’est qu’on est vieux bien avant l’âge de sa maturité ; C’est le monde de l’utilité. Le monde de l’utilité est disgracieux parce qu’il fait vieillir les esprits les plus jeunes, avant que le temps n’ait fait ses ravages sur les carcasses humaines. Il s’oppose à la maturité, dont la nature a trouvé l’équilibre, dans le conflit qui oppose la nécessaire loi de l’existence avec sa transcendance. Cependant que cet équilibre engendre un nouveau conflit, un mode supérieur de conflit, qui n’est plus restreint à la subsistance, mais qui est celui pour la reconnaissance. C’est là, l’essence de toutes guerres, d’être des guerres pour la reconnaissance de son être, contre celui de l’étranger, dont la nature est de n’être pas soi. Qu’aime-t-on, chez l’autre, que nous ne reconnaissons pas ? On se dévore d’être à être, pour la reconnaissance de soi. Devant les effets spéciaux de l’histoire, la dialectique ne peut répondre qu’en parti ; régler la dissonance en désaccordant son propre violon pour s’ajuster sur celui de l’autre, afin de le surprendre dans sa faiblesse. Parce que, la dialectique est la science des faibles, comme l’obéissance est celle des valets. Chacun trouve sa force ou il peut la rencontrer, en lui-même, ou sur la faiblesse de l’autre.

La finesse du sensible devrait appartenir à l’individu, mais à qui n’y prend garde, la dialectique de l’histoire se charge d’en vider sa substance, et la réduit à sa grossièreté la plus banale. L’être ainsi vidé ne peut que s’identifier à la fonction qu’il exerce ; il devient cette fonction même ; de créateur, il devient créature. « Bienvenu dans le monde des marchandises ! ». Nous ne sommes plus ce nom emphatique que l’on respectait, selon les circonstances éprouvées par la vie, mais l’emblème d’une fonction dont on se raille.

Et cela épuise. Ca épuise de solitude ; non de cette solitude tellement nécessaire à l’âme, de cette solitude qui la ressource, mais de cette solitude qui isole. Elle isole de soi, et isole de l’autre. C’est une solitude d’enfermement par excès d’isolement.

Hurler…

Préférer respirer l’odeur suave d’un sexe, surtout après l’orgasme. Odeur incomparable ; mélange de résidu de liquide séminal et d’urine ; idée essentielle.

C’est une idée de la solitude, qui n’est pas celle de l’enfermement. La solitude qui isole contient le secret de la révolte ; ce qu’ignorent, par leur profession de foi de leur fonction, les moralistes, les magistrats, les enseignants, les éducateurs… C’est qu’on ne peut professer l’essence de la sensibilité.

La solitude produit le cynisme, la révolte, ou la sagesse. C’est-à-dire, l’usage du néant. Au choix ; c’est un discours qui ne parlemente pas ; entre la colère et la misère, la liberté est le négatif qui désir être, et non un aménagement du malheur. La liberté n’est pas l’expression d’un choix envers deux maux incompatibles, mais la suppression de ce choix vers l’incompatibilité du possible de ces maux. Etre libre, c’est se placer au-delà des antagonismes.

Dans le monde de l’antagonisme, seule la solitude peut être à l’origine de la révolte, mais non la provocation, quelque en soi sa nature. La solitude peut provoquer la révolte, le raisonnement qui en émane, ou le néant dont elle est issue. Au choix. Du clochard vers la misère…ou vers la richesse la plus absolue, et qui se conçoit par la liberté !

La liberté n’est pas la possibilité d’un choix, mais l’essence de la sensibilité. Il faut l’aimer.

Le choix est la circonférence de la soumission, selon ses humeurs, où ceux dont l’étrange influence impose une sorte d’autorité dominatrice, vagabondent entre mensonge et hypocrisie. Formule de l’angoisse ; soumission et autorité sont l’opposées d’une même formule. Elles disent la même chose : l’inconfiance de soi, qui trahie sa propre intranquillité.

On préfère la soumission, par mépris de sa viande ; on aime une sorte de liberté, celle là qui nous aveugle sur notre condition de captif, par confusion de l’exigence que son esprit provoque. Il se trouve que l’on préfère, généralement ce que l’on n'aime pas, plutôt qu’aimer cette force qui contredit ce que notre inquiétude nous recommande. C’est pourquoi beaucoup préfèrent se soumettre à un travail, plutôt que s’adonner à toute autre activité dont l’exécution ne dépend que de sa propre volonté. C’est pourquoi la soumission à un labeur, à des lois autoritaires, à un patron, est considérée comme une force de caractère, et la liberté, comme un manque de fermeté.

Qu’appelle-t-on liberté, maintenant, sinon le choix de notre soumission, selon ses propres humeurs, ou selon l’influence étrange qu’impose la domination d’un petit chef ? Soumission ; autorité ; voilà des formules qui ont le mérite de leur singularité pour dire la même chose, celle qui traduit la violence stupide des petits chefs, parce qu’ils sont intranquilles. Un petit chef a besoin de l’autorité pour trouver un sens à son existence. Il n’est pas de sens plus insensé. Il vie avec ce malheur par besoin, alors que l’homme libre vie avec ce besoin par malheur.

On vit ; on s’éteint ; on reste vivant, pour quelques temps encore entre ces deux instants. On est là, en vie. Du moins, on le suppose. On est en vie par défaut de n’être pas cadavre. On se supporte parce qu’on s’insupporte. On vit. On s’éteint. C’est la vie. Ce n’est pas la même chose d’être en vie, et d’être la vie. Et bien que la vie recycle la vie, dans le perpétuel recommencement de sa mort indéfinie. Et dans ce phénomène infernal, chacun cherche la vie qui semble convenir à son ambition, par défaut de convenir de ce qui lui semble être la vie. Programme d’insatisfaction. Entre l’ambition qui se réduit à n’être qu’un risible devoir, et l’idée que l’on se fait de la vie, la fracture est si profonde qu’on oublie l’idée pour se soumettre au devoir.

La vie, comme elle nous apparaît : dispensée.

Alors, ça fait éloignement ; ça fait isolement : désolation de la dépendance. La dépendance, cette substance étrange qui fait que, plus nous lui sommes soumis, plus nous croyons nous en éloigner. La dépendance la plus parfaite s’exécute sous le régime de la séparation, de sorte que la combinaison de sa manifestation se montre pour une nécessité adéquate, hors de laquelle, il n’est pas pensé qu’une vie soi possible. Ce régime est celui de la démocratie salariale.

C’est alors que l’histoire se rappelle à la mémoire comme si elle se reproduisait identiquement d’une époque à une autre, alors qu’elle est ce mouvement intempestif dont le destin ne marque qu’un temps d’arrêt illusoire, et quoique défini avec autorité. Il n’est rien qui ne se reproduit, qui ne porte les stigmates du passage du temps.

On devrait vivre plus loin, les uns avec les autres, mais, nous vivons les uns contre les autres, dans un raccourci de la vie. Finir par saisir la vie pour ce qu’elle est devenue, plus qu’inutile : nuisible. Aujourd’hui, la vie est devenue nuisible à elle-même, et l’histoire disparaît, dévorée par la nuisance de son propre développement; de sorte qu’il ne reste de vie que sa fonction, sa structure mécanique, son squelette, la charpente qui la réduit à un usage.

On devrait vivre plus loin, pour goûter à la saveur du temps, hors des mots.

On vit, non par les autres, mais par les mots. Sont-ils pour les autres ? Je n’en crois rien. Je sais ceci, que j’écris d’abord pour moi, mais c’est aussi parce que l’autre existe. Dilemme indépassable…Dans un mot, le plus souvent, tout est dit, y compris ce qu’on redoute de dire.

Il n’est rien de soi que l’autre ignore, par cela que la vie n’a aucun sens ; elle ne pourrait s’articuler dans une connaissance que les générations se transmettraient, mais par une jalouse confidence qui la défigure. Quel auteur n’en a pas été victime ?

Au fond, ce qui détermine la différence qui distingue les individus, est nié en permanence, pour cela qu’il n’existe nul part un individu que l’on pourrait distinguer par des qualités ignorées du public. On se croit unique ; c’est un leurre, un de plus. Chacun n’est que remplaçable, et non vénérable. Endommagé après avoir trop servi, il reste d’être mis en retraite, au rayon de l’inutile, avant de tomber dans le gouffre du néant.

Et nous ne laissons de souvenir que l’oubli.

La famille, par son instinct de reproduction, et le travail, par son instinct de conservation, sont les deux mamelles de la fixité du temps, le bâtit sur lequel s’appuie la société afin d’engendrer dans l’absolu ignorance du vivant, et que, lorsque le vivant se manifeste, elle exprime avec mépris. La soumission seule est reconnue, par cela que nous vivons le monde de la soumission. Est reconnu ce qui fait le monde. Aujourd’hui, ce qui le fait prend la forme de la soumission. Demain serait-il un autre jour ? Le désirez-vous seulement ?

On se retrouve dans l’obligation de se justifier pour la moindre peccadille. Bien sûr, personne n’ira en faire valoir jusqu’à ce détail publiquement, mais tout le monde accuse pour ce détail même. Alors, ça fait travail. On travaille. Moi, vous, tout le monde. C’est travail pour un désir abstrait. Une abstraction étrange qui procure le bien, par défaut du beau : l’argent. Celui qui en est dépourvu est, le plus souvent, méprisé, non par ce manque, mais par l’outrecuidance à refuser s’abaisser ramasser les miettes que le salariat lui jette sur la gueule. L’argent est la richesse absolue qui a ruiné la vie, pour la reconnaissance de sa seule valeur. C’est le dicta qui réprouve les dictateurs, par cela qu’il exerce l’absolu de son pouvoir avec le pouvoir des démocraties, plutôt que sous celui de la coercition absolue, parce que l’argent a besoin de l’acquiescement du plus grand nombre pour s’épanouir sous le feuillage de leur misère.

Il faut arrêter d’être pauvre !

Le travail voudrait uniformiser les comportements ; mission impossible jusqu’à ce jour fatidique de maintenant qui fait confusion entre liberté et esclavage. Les uniformisateurs en ont souvent pris ombrage ; maintenant, c’est l’inverse, nous prenons ombrage du dicta des uniformisateurs. Là où il suffisait de s’entendre pour se comprendre, l’autorité a imposé sa loi sur la nouvelle soumission, et tout le monde se croit libre.

Naturellement, la vie est dangereuse. Elle est dangereuse par cela qu’elle se finit. Et qu’importent les cadavres et les poussières réduits à l’état d’un néant. C’est la vie dans sa manifestation, qui est hostile à son épanouissement. Qui, en effet, n’est pas effrayé à l’évocation d’un virus, ou de quelques insectes anthropophages… La salubrité ne sert qu’à retarder la voracité de la vie, et non l’éradiquer. Qui aime la vie, doit en aimer ses manifestations les plus sournoises ; c’est que la richesse dépend de l’habitant, et non de l’habitacle.

Mais, lorsqu’il arrive que la vie se brise, il peut être plaisant de l’offrir en spectacle ; le talent l’oblige. Il faut, cependant, savoir où aller ; quel corridor emprunter... Eviter les pièges…Et croiser, chemin faisant, cet amour discourtois dont on ne désire que la tendresse, et qui nous offre le sexe… Ah ! Que ne ferait-on pour découvrir l’Amour… Humer sa couleur… En observer sa délicatesse… Se plonger dans sa chaleur… Se laisser pénétrer par sa sculpture… Humecter son odeur ; Se perdre dans une chatte sournoise aux milles parfums exquis… Voilà un rêve partagé par beaucoup… et que bien peu réalise… Et quoique ça bande, un homme, et même si ça le fait crever. Tout ce sang,, dans cet organe de plaisir… qu’il vide à chaque érection… Le cœur s’accélère, les veines se gonflent…Jusqu’à l’orgasme. Petite mort trop peu partagée…

Quelle sensation merveilleuse que celle d’un vît en érection, pénétrant une chatte brûlante, sous les rayons d’un soleil d’automne. Et quel délice, pour une chatte brûlante, que de recevoir un tel organe turgescent… Et quoique l’étoile de Sodome offre des sensations bien supérieures encore, par son étroitesse même, comme une bouche qui serre si fort que la pression est à son comble. Mais, sans doute, je m’égare là, dans une vallée interdite. N’ayant découvert de l’amour que les instants délicieusement fous de ses débuts, je n’en connais pas sa durée. Cependant, je n’imagine pas quelqu’un jouir de la vie jusqu’à sa mort. C’est qu’on s’accoutume si aisément aux brides que le monde dispose en ses rouages pour nous le faire admettre, et quoique chacun espère, dans un espoir vain et fou, s’en débarrasser en rencontrant l’autre, par cela qu’on en espère le désir de soi, pour le désir qu’on veut lui offrir. Mais, l’illusion est féroce, et nous installe dans l’habitude, cette vie quotidienne qui finit d’achever nos espoirs, par l’illusion de croire un jour pouvoir s’en débarrasser. Et finalement, on s’accoutume de voir nos espoirs s’échouer sur le ban de la nécessité. C’est aussi qu’on ne sait rien de plus, que ce dont on s’est accoutumé.

On va chez l’autre comme invité, et on finit en embuscade.

Cependant qu’il faudrait entretenir le feu des premières rencontres, afin de se prémunir de la glaciation qui transforme les désirs en refus. Mais, comment est-ce possible. La férocité du temps s’empare des relations pour les ruiner. A moins d’être aveugle ou passionné. Habituellement, on veut y mettre de la confiance afin, sans doute, de calfeutrer sa propre naïveté, mais la maladresse d’un tel déboîtement ne fait que renforcer la médisance. Au reste, il n’est de pardon que celui que l’on s’autorise, par cela qu'on ne s’absout de rien.

On se croit fertile, alors que nous ne sommes que nuisibles. On ensemence la terre avec de la progéniture qui se révèle être dans la rupture, plutôt que dans la filiation. Non pas la rupture qui marque les temps, mais celle qui indispose par le renouvellement de ces temps, dans un éternel recommencement. Il faut être bien naïf pour confondre jeunesse et nouveauté ; il n’y a de nouveau, dans la jeunesse, que l’apparence qu’en donne la marchandise, et non la critique de temps supposés révolus. Finalement, nos prétentions ne dépassent pas le stade de l’insignifiance. C’est aussi qu’on est au centre de la vie ; et rien n’est plus négligeable.

Je vais formuler mon idée d’une autre manière : l’Etre est le tout du rien de la vie ; un ballon rempli de vide, que notre indisposition identifie à l’existence. Mais, cette existence, si pleine de trous et de ratés, ne saurait se traduire autrement que par l’obscure soumission au monde de la valeur marchande. C’est aussi que nous ne savons pas comment nous mouvoir autrement. Triste pauvreté qui fait croire à la richesse, alors qu’elle n’est que le produit du mensonge, de l’enfermement et des massacres.

Nous sommes le produit d’un massacre, par défaut d’être le massacre de ce produit. On en convient sans réjouissance, mais avec soulagement.

C’est pourquoi, il est bon de continuer son imperformance sur le tracé de ses souvenirs. On en accuserait prétention ? Et alors ? C’est parjure. Ne rien prétendre que le droit d’être. Et tant pis pour les âmes affaiblies par les circonstances d’une vie, finalement assez dérisoire pour ne pas savoir retenir aucune attention. C’est aussi qu’il y a peu de choses aussi détestable que le paraître qu’affectionne tant la valetaille. Et s’il arrive de s’habiller pour la ville, ce passeport objectif de la publicité marchande, c’est pour mieux protéger la nudité de sa propre vie, cette nudité qu’il faut la plus intégrale possible, dans une érection la plus parfaite possible. Nu, semblable à l’insomniaque dont la mémoire fait défaut. C’est aussi qu’on ne croit jamais un insomniaque sans souvenance ; tout juste, lui accorde-t-on une réputation qui en fait un étranger apatride qui recherche à s’expatrier. On ne croit que l’incrustation, l’indélébile, mais non la parole.

Le seul règne admis de la mémoire reconnue, est celui de la nécessité. La nécessité fait aujourd’hui, preuve d’existence. Nous sommes devenues cela : des être nécessiteux, parce qu’étant nécessaire à la brève existence de la vie. La poésie est réserver pour les enfants, parce qu’on les veut sage, alors qu’ils sont remplis de la folie qui anéanti l’autre, sitôt soi ignoré. On réduit la poésie par ce qu’elle a de plus inessentiel, et qui la rend mièvre, la mise en jeux d’une musicalité pour public attardé. Elle n’est plus comprise que comme l’exercice douloureux du « par cœur ». Cependant, belle ou responsable, l’image qui nous est envoyée de la poésie suppose l’oubli, ce balai qui efface tout ce qu’il ne faut pas retenir, surtout pas, pour n’en retenir que ce qu’il ne faut pas faire, surtout pas. A l’exemple de la brosse, qui ne retient de la poussière que sa propreté.

Mais, la vie n’est pas propreté. Elle est bestialité vaincue par sa propre domestication ; de la viande nue qui frétille sous le soleil de la convoitise, comme le poisson dans son bocal ; un rien perdu au beau milieu de l’océan du carnage. Là dedans, chacun tente de se reconnaître, en se frayant une place au sein de la promiscuité, comme les Aoûtats sur une plage de sable. Mais, à force de rechercher un amour impossible, on finit par s’oublier soi-même ; ce qui devait former l’union de deux amants, fini par s’effilocher jusqu’à un éloignement qui prédispose d’un non-retour. On a cru connaître l’autre, et sa nature étrangère nous renvoie l’image d’un inconnu. C’est la rupture, et tout éloigne un amour interrompu du désir de se comprendre. Il n’en reste que de l’amertume.

Reconnaître l’autre, c’est se reconnaître chez l’autre. Suite à tous les empreints, le « Je t’aime », ne devrait pas être remplacé par l’abandon qui produit la certitude de la conviction d’être déçu, parce qu’alors, s’installe une amertume ignorante d’elle-même par cela qu’elle en ignore son origine, perdu dans un quelque part oublié. C’est aussi que l’illusion née de son propre désir ne sait qu’engendrer le regret d’avoir rencontrer une situation que tout annonça comme étant fructueuse, alors que sa fin est amère.


Il n’existe pas de solution
Qui puisse définir le bien
Et le mal.

Parfois, je regarde ma main, j’observe mes yeux et j’appréhende ma nuit, non par son pointillisme, mais par son fauvisme. La nature des choses de la nature que l’on observe, donne à l’art une perspective surréaliste, parce qu’il y a là dedans comme une sorte d’odeur que l’on peut redouter. Pour rien, sans doute, mais si olfactive qu’elle envahit son âme jusqu’à faire frissonner la colonne vertébrale. Un quelque chose qui se conjugue quelque part, alors même que plus rien ne saurait se conjuguer, par cet effet que nous vivons au cœur du monde de la séparation, cependant que nous nous contraignons à nous croire en sa périphérie ; laquelle ne préoccupe guère que ceux dont tout le souci est de feindre n’être préoccupé en rien, alors que par cette dérobade, ils s’y trouvent submergés.

Cependant, il est possible qu’il n’y ait plus rien à conjuguer qu’un rien bien près du néant, vis-à-vis de son propre néant. Un rien à l’odeur avariée.

C’est là, dans ce genre de condition, comme par un étrange et soudain miracle, que surgit entre mes mains, un petit condensé de la pensée fondamentale. De celle que j’estime comme fondamentale. Ca s’est passé l’ors d’une de mes énièmes soirées d’oublis, entre l’inaperçu et le probable. L’auteur est un connu très secret : August Cieszkowski ; ses prolégomènes, plus encore dans le méconnu. C’est aussi, il est vrai, que la notoriété d’un Nietzsche m’a déshabitué des références aux particules qui distingua un Beethoven d’un Mozart. Aussi, serait-il plus exact, bien que fort peu vrai, de lui assigner la particule qui le distingue par son rang social, baron Von Cieszkowski. C’est aussi qu’il me plaît de toucher à l’essence d’une pensée, et non à sa vulgaire notoriété. Chez Cieszkowski, on touche au sublime. Toute particule ne sert que le général, de sorte que pour se distinguer, aujourd’hui, de la masse du général, il faut ne pas apparaître, ou si peu que cela ne se conçoive que comme improvisation. C’est en cela que l’observation de mes mains, leur surface chaotique, me prédispose à invoquer un tel auteur.

Il me plaît d’observer mes cratères ; d’en décortiquer mes sulfures ; d’y ruminer mes confidences, comme on digère sa cervelle. C’est cela que j’ai rencontré chez Cieszkowski.

« Je ne vais jamais aussi mal que lorsque je vais bien. » Voilà qui peut sembler insensé à l’oreille chaste, celle qui ne connaît du bien que son bonheur positif, en rejetant ce qu’elle croit être négatif, sans se soucier un instant du sens que les idées recèlent. Cependant, il ne saurait être question d’inverser la formule sans tomber dans le piège de la légèreté de la dialectique. Trouver la force en soi de combattre ce qui nous assaille, voilà le bien suprême, celui qui fait de l’homme un être vigoureux, et non un rampant vaincu de n’avoir jamais combattu. Un être vigoureux, comme le ver de terre ou le serpent, si proches de la terre, et non comme l’animal qui croit dominer parce qu’il se tien debout. Je me sens proche de la terre ; que dis-je, j’aime à m’y sentir enseveli, comme on porte un manteau très chaud, afin de combattre les rigueurs de l’hiver. Je me sens souterrain. C’est cela même, je me sens comme un voyageur souterrain, qui cherche à décortiquer ce que l’œil ne voie pas. Je parcours mon souterrain, comme les rats parcourent les catacombes. Je ne recherche rien. Je suis bien, là où je vais, et cela seul importe. Qu’aurais-je à faire avec la recherche d’un soi hypothétique qui ne trouve son sens que dans l’enfer qu’habitent ceux qui se croient au-dessus de ma tête, parce qu’ils confondent l’air irrespirable qu’ils produisent chaque jour, avec la droiture de l’esprit que l’on ne peut rencontrer que dans l’alcôve de son propre secret.

Je n’invite personne dans mes catacombes ; personne qui n’en soit digne. Et je le dis avec toute la franchise que la morale réprouve. Je n’ai que faire des jugements, même des plus obséquieux. Je ne ressens pas le désir d’un grouillement qui s’agiterait autour de moi, à l’inverse d’un führer, qui ne joui qu’en cela. Il s’agit de mon univers, et je le veux vierge de toute pénétration autre que celle que je désir inviter. Faire en sorte de rendre son univers inviolable, voilà bien le début de la sagesse chère à ceux qui savent bâtir des empires millénaristes. Je me veux impénétrable, c’est pourquoi je m’efforce d’être dans l’absence d’un public que je réprouve, celui dont l’essence se résume à être spectateur, et qui trouve toujours le méchant mot envers celui qui cherche à se rendre maître de son destin. C’est pourquoi je m’efforce d’être inutile ; et c’est cet effacement de mon usage qui fait ma force, par cela que semblant inconsistant, je suis, pour celui qui convoite ma force de travail, plus fluide que le fluide le plus fluide. Je traverse mes âges comme si je n’en avais jamais eu. C’est ainsi que je ne ressens pas en moi, la faiblesse d’un âge qui me brise, mais la force d’une conviction que le temps m’a offert. On ne s’étonnera pas que cette position m’a beaucoup desservi auprès de la jeunesse soumise, puisque aussi bien, je me voie vieux dans quelques siècles. Il faudra du temps, pour que le repas de mon écriture puisse être apprécié avec justesse, et non déprécier par ceux dont tout le goût se résume à avaler les sucreries du monde marchand. Cela me dessert auprès des vieux, qui préfèrent oublier leur jeunesse, et auprès des jeunes, qui préfèrent ignorer leur déjà vieille histoire.

Etre un rien parce que rempli d’esprit, afin de trouver la satisfaction d’exprimer son vide : le bonheur parfait.

On ne pourra me faire le procès de porter jugement sur les autres ; c’est que je ne parle de personne en générale, afin de mieux parler de tout le monde en particulier. Il m’est plaisir de parler, même en mal, mais non pour qui que ce soi. Je me définirais volontiers comme une sorte de misanthrope éclairé. C’est une question de temps, ou plutôt, de sa rareté. Je méprise autant ce monde odieux dont la réalité oppresse, que le monde idéal qui jusqu’ici, a servi de refuge aux âmes pures, contre les infamies de la réalité. Je ne veux être ni rêveur, ni voleur. Je veux bâtir l’auteur de mes écrits. Quel temps pourrais-je alors consacrer à l’impétueux qui, par ses présomptions, tenterait de briser ma certitude, par cela que sa nature l’indispose à n’en avoir aucune ? L’écriture est un jeu excessif. Elle n’est cause en rien du bouleversement de l’esprit.

J’aime ne parler de personne, parce que j’aspire à parler de tout le monde, ai-je déjà prévenu. Non que je désir éveiller, par-là, telle candeur ou tel soupçon, parce qu’il s’agit de l’esprit des êtres ; l’esprit de chacun face à lui-même. Soi, seul, devant l’absolu de son propre miroir. La nudité de sa peau craquelée, étalée devant ses propres yeux désabusés, ou l’éblouissement que procure nos propres illusions, au beau milieu du centre du monde, c’est-à-dire nul part, puisque étant partout où chacun se trouve.

J’expose mes malentendus ; voilà qui me protège de la promiscuité des esprits troubles, et quoique je ne sois pas maniable par cela que je suis inexploitable. Je ne sers à rien, et j’ai le privilège de le revendiquer. Cependant, il est loisible de provoquer mon discours, et quoique la plupart se cognent immanquablement contre la borne de l’inexploitation de mes fragments. C’est aussi que je ne sais discourir que dans ma solitude. Toute confrontation m’indispose par la stérilité des propos qui en émerge. Evitez-moi, voilà qui me renforce ; approchez-vous de mon champ de mines à fragmentation, et je me disperse. Vidé de son breuvage, la plus belle des bouteilles n’est qu’un morceau de verre. Je me refuse à démontrer quoique ce soi que l’autorité d’un pouvoir trouve exact ; je m’en voudrais de tout béotisme, comme de toute interpolation. Condenser sous quelques formules élégantes, c’est-à-dire lapidaire, les rites sexuels qui lient ou délient la pacification qui unie les êtres embaumés, c’est tout l’objet de mon écriture ; n’en cherchez pas d’autre.

Comme pour chacun, je ne retiens que les mots qui servent le confort de mon esprit, parce que j’aime l’assurance que m’impose la paix, même au prix du mensonge, plutôt que l’adversité, même au prix de la vérité. C’est bien ce qui anime l’esprit de mes contemporains, et quoiqu’ils redoutent l’avouer. C’est aussi qu’à défaut de connaître l’esprit du confort, chacun s’arrange avec le confort de son esprit. A chacun ses petites manigances pour survivre. Moi, j’ai les miennes. Et je vous dis qu’elles ne me déplaisent pas, bien qu’elles n’offrent aucune liberté tangible. C’est juste une manière de se sentir, dans un monde qui a supprimé jusqu’à l’olfaction.

C’est pourquoi, il m’arrive le soir venu, de regarder ma main, celle qui écrit. J’y observe les rides qui la traversent, comme autant de balafres qui témoignent de l’aspérité des ans. C’est ainsi que chaque nuit ne fait qu’accentuer mon vide. Un vide provoquant, à la lisière du gouffre au fond duquel gesticulent les bacchanales du sexe.

« Les poètes lèvent des mains
où tremblent des vivants vitriols,
sur les tables de ciel idole
s’arc-boute, et le sexe fin

trempe une langue de glace
dans chaque trou, dans chaque place
que le ciel laisse en avançant.

Le sol est tout conchié d’âmes
Et de femmes au sexe jolie
Dont les cadavres tout petits
dépapillottent leurs momies. »

A. Artaud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 


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