De la révolte à la liberté !

 

Chaque matin je me lève de la même manière. Sans y prêter attention. Peut-être parce que le monde ne change pas ; parce que je ne ressens pas l’enthousiasme d’un printemps qui viendrait réchauffer les cœurs, mais plutôt le monotone mouvement des choses ordinaires. Et pourquoi le monde devrait-il changer, d’ailleurs ? Qu’est-ce qui obligerait à une transformation de ce que nos habitudes ont mis tellement de temps à fixer ; qu’est-ce qui pousserait à une rupture des freins sociaux - car, transformer les choses, n’est-ce pas rompre les liens qui nous retiennent enserrés dans le corset de nos certitudes ? - Les sangles sont bien attachées, parce que nous nous y sentons en sécurité. Attacher les ceintures ou mourir, tel est le chantage à la vie.

Alors, qu’est-ce qui pourrait provoquer le détachement de nos liens, sans qu’aussitôt des cris d’effroi et de désespoir ne viennent remplir nos poumons affamés de tout ; trop de tout qui fini par absorber l’élan vers la vie dans le précipice de la culpabilité, et nous livrer dans l’impasse d’un bonheur insipide.

Pourquoi les choses devraient elles changer, après tout ? Il n’y a que des marxistes pour croire que les choses changent inéluctablement ; ils croient dans une rupture qui reste purement formelle, mais non une rupture tranchée sur le fond, une rupture avec l’organisation hiérarchique du monde, maintenue par des rapports de force qui semblent inébranlables. Mais, nous savons bien, nous autre gueux, que les marxistes ne sont que des chrétiens qui s’ignorent. Le mot révolution fut si longtemps confisqué par ces gens. Il lui fut attribué un changement politique, là où la colère d’une population dépourvue de tout, espérait un changement dans les mœurs, un changement de mentalité, un renversement des valeurs morales. Hélas, c’est l’inverse qui s’est produit, et aujourd’hui, ce mot ne désigne plus l’espoir mais des techniques, un bouleversement formel des choses, à l’insu des êtres, qui renforce les structures autoritaires, et amoindrie toute affirmation individuelle qui engage la liberté.

C’est d’ailleurs assez curieux d’entendre parler de révolution dans les techniques, alors que les mœurs sont sous étroite surveillance ; comme si un bouleversement s’était opéré sans engager les comportements. Comme si une révolution s’était opérée en se passant des hommes. C’est une vaste plaisanterie, à moins d’être une cynique opération de marketing. Ces dernières années, la misère a atteint un tel niveau de promiscuité insupportable, qu’il est difficile d'imaginer pire situation sans éveiller le désir profond de vomir. Et pourtant, le grondement sourd de la révolte, trébuche sur le billot du travail, comme une inévitable fatalité. La brutalité des procès pour pédophilie a fini d’achever le peu d’esprit libre que les mœurs contenaient, appuyé par l’offensive du clergé Romain, la Rome Papale, après avoir essuyé une première salve mortifère avec le chantage au Sida. Débarrassé d’un risque de dérapage moral, le désir d’être libre s’est écrasé contre le mur de la soumission. Ainsi, les marins en grève qui font la navette entre Marseille et la Corse. Ils ont échoués dans leur tentative. Les boulets de l’existence sont trop solidement enchaînés à leur cheville, comme des bracelets électroniques mobiles entravent tout désir de liberté - la liberté est un désir, non une morale - interdisant l’imagination comme programme. Faut-il croire que la faiblesse d’esprit est l’essence de l’homme moderne ?Si je n’étais blasé, j’en ressentirais une forte amertume, ou le sourire épineux de la moquerie.

La question du travail est de celle qu’il reste à critiquer, quoiqu’on en dise. La question du travail n’est toujours pas critiquée, parce que la théorie qui la justifie n’est pas critiquée. Cette théorie n’est pas la théorie de l’économie, comme on pourrait le croire, parce que l’économie est une idée fausse et un mensonge sur le monde. On ne critique pas une idée fausse. On s’y fourvoie, ou on la rejette. C’est dans la religion qu’il faut trouver la matière de la critique du travail. La religion est la vrai théorie du monde. C’est même la seule. Et les hommes travaillent, non parce qu’ils sont soumis à un système autoritaire, mais parce qu’ils sont croyant. La justification du travail est à rechercher dans les religions monothéistes, parce qu’elles promettent le paradis éternel à celui dont la vie est faite de peine et de labeur. Les hommes travaillent parce qu’ils en éprouvent une légitimité. Non pas un désir positivement accepté, mais comme sacerdoce. Mériter la vie par le travail. C’est le programme des religions monothéistes, et la pire des trois, parce qu’elle est un nihilisme qui s’ignore, la religion chrétienne. La sanction envers tout ce qui donne à la vie sa saveur, est le principe par lequel s’est bâtit l’édifice chrétien. Parce que l’origine du christianisme est dans le meurtre cruel et vil du père fondateur, ce symbole qui est un apostat aux yeux des sanhédrins. On doit à Nietzsche, puis à Freud d’avoir trouvé le secret qui permet de défaire les liens de cette morale de la faute et de la sanction. Nietzsche, de parents chrétiens, qui a apporté la responsabilité de la liberté en dévoilant la nature du faux « …quand l’homme cherche le vrai que pour faire le bien, je parie qu’il ne trouve rien » (Humain, trop humain), et Freud, de parents juifs, qui a apporté le plaisir sexuel à l’espèce humaine. Freud, le type qui a redonné des couilles aux mecs, et un vagin aux femmes, malgré les préjugés dont il fit preuve. Tout de même, la pensée de Freud peut se résumer ainsi : si vous ne voulez pas être malade, jouissez et faites jouir avec vos organes, en toute conscience. Freud est l’homme par qui le sexe est devenu un organe de plaisir, et non de reproduction, ni de déjection. Le sexe se place donc à la source des névroses lorsqu’on le charge de culpabilité. Freud a (re)mis le sexe là où il a toujours été, dans la tête, contre les chrétiens qui ont cherchés à le réduire à un organe honteux, sale, situé dans la partie infamante du corps, recouvert d’un drap, et envers lequel, ils ont abusés des tortures les plus atroces, allant jusqu’à l’ablation de l’organe autant chez l’homme que la femme, physiquement comme par l’éducation. Là, je me porte en faux contre le féminisme. Ce ne sont pas les hommes qui avilissent les femmes, mais une organisation sociale fondée sur la croyance, que le christianisme a érigé en sacerdoce, que le corps est dégoûtant, malpropre, impure, parce qu’il est source de jouissance sexuelle. Mais, il ne faut pas croire pour autant que le monde moderne s’est débarrassé de ce rejet ; il l’a transformé pour l’adapter au marché. Le corps est toujours aussi impure, non par l’avilissement supposé dont rend compte la pornographie, mais par la censure morale dont la pornographie est vecteur. Le marché ne s’est pas débarrassé de la morale ; il l’a adapté à ses conditions. D’ailleurs, il n’est rien de moins immorale que la pornographie. Le monde moderne, avec ses pétasses et ses maquereaux n’a jamais été aussi épris de jugements moreaux que les films pornographiques véhiculent allègrement.

Pour beaucoup de gens, la vie est une petite chose bien fragile. Pour moi, qui suis bien placé pour juger de la fragilité des choses, je puis affirmer que la vie est une grande chose que rien, jusqu’à présent, n’a pu venir à bout. Malgré les phénomènes de destruction massive qui sont apparut depuis l’apparition de la vie (laquelle fait suite à un renversement complet de la nature chimique de l’atmosphère), malgré les carnages qui ont jalonnés le cour vivant de l’évolution humaine jusqu’à mettre en péril des cultures entières - tel ces hommes que le mépris chrétien désigna comme Indien - le phénomène de la vie est toujours réapparu, avec une adaptation accrue aux conditions nouvelles.

Ce qui est vrai à l’échelle des temps géologiques, l’est tout également pour nos apparentes chétives natures. L’homme est certes, physiquement dénué des possibilités de combat nécessaire à la vie biologique, mais possède un cerveau d’un volume qui le rend incomparablement plus efficace. Il faut être de mauvaise foi, c’est-à-dire secrètement chrétien, pour juger de la petitesse de l’espèce humaine. Ce n’est pas l’espèce qui est petite en regard de la force du monde naturel, mais l’esprit arrogant et ambitieux d’individus qui ne reculent devant rien pour assouvir leur penchant à l’appropriation de tout ce qui peut produire du profit, à commencer par la force physique de ceux que leur condition a réduit à l’état d’esclave. Ceux-ci sont bien des hommes qui pourtant, n’ont aucun moyen de décider de leur vie. Ce n’est pas d’un point de vue physique, que l’on peut juger de la grandeur ou de la petitesse de l’homme, mais d’un point de vue moral. Et dans ce cas, il faut nommer les individus que l’on juge ainsi. De ce point de vue, juger de la petitesse ou de la grandeur, c’est juger de la faiblesse ou de la probité morale qui habite tel ou tel individu, mais non l’espèce dans son ensemble. Autrement dit, dire « L’homme » lorsqu’on veux dénoncer une indignation morale ou sa reconnaissance, est un non sens qui invalide la responsabilité, et donc, la liberté de l’individu ainsi désigné. En ce sens, je récuse le marxisme qui attribut à l’Histoire, le destin de l’homme, et singulièrement, à la classe prolétarienne, sur laquelle repose, par le conflit que sa nature engendre, la nécessaire émancipation des prolétaires. Le marxisme n’est qu’une morale des bas instincts comme l’est le christianisme. C’est un christianisme qui ne veux pas dire son nom. Il n’y a rien de déterminé. Il n’y a pas de but. Il n’y a pas d’histoire, comme il n’y a pas de providence. Il y a le désir, et son refoulement (individuel et social),c’est ce qui donne une police, une armée, des dirigeants, c’est-à-dire, la névrose… ou sa réalisation, notamment lorsqu’il y a création artistique, littéraire, voir scientifique ou philosophique. C’est pourquoi je tiens les activités créatrices comme opposées au travail, opposées à toutes ces activités oppressives. Le travail est une activité bornée qui est à la source de toutes les névroses, lesquelles finissent par se reproduire comme un virus sur un terrain qui lui est favorable. A voir l’état de folie meurtrière dont font preuves nos dirigeants, il est à craindre que ce qui gouverne le monde, est un comportement pathologique fondé sur le travail, et non un raisonnement fondé sur la conscience.

Le travail n’est pas un facteur de création, ni ce qui permet de vivre biologiquement. Le travail engendre les maux qui ruinent la santé et le plaisir de l’existence. Etant une activité artificielle, il ne saurait se rencontrer en abondance. Le travail est cette activité spéciale qui produit de la pénurie, puisque les prédateurs qui en on la charge, confisquent l’abondance que la vie produit en permanence, pour leur égoïste jouissance. Là où des tribus se nourrissaient des produits de la nature, le travail a ruiné la terre et engendré le commerce. Le travail a pollué le sol et l’esprit. Et la vie est devenue le prétexte au commerce, au point que là où il fait défaut, la vie n’a aucune importance, jusqu’à devenir insalubre. La vie est une matière que beaucoup convoitent avec appétit, là seulement où s’est établi un commerce durable. Partout ailleurs, elle est semblable à un cloaque. C’est ce cloaque que les puritains désignent par tiers-monde ; ou quart-monde lorsque le cloaque s’étale dans les pays les plus riches du monde, ce sous-prolétariat que Marx dénonçait avec mépris. (On sait que Marx n’a reculé devant aucune imposture pour parvenir à ses ambitions). Ce sous-prolétariat dont je suis un exemple, puisque n’ayant pas même la possibilité de me vendre pour un salariat ordinaire. On sait combien une telle condition engendre le mépris des prolétaires. Je suis bien placé pour le savoir, ayant toujours été en conflit avec les travailleurs.

La vie moderne est détestable, parce qu’elle nous est inaccessible, non parce qu’elle serait une erreur. Elle fait de nous, des affamés près à prendre des risques inconsidérés pour avoir le droit de s’installer à la table du festin. C’est ce que nous montre les « clandestins » africains qui viennent s’échouer aux portes de l’Europe dont l’éclat provient des barbelés, et non de l’espoir, ignorant sans doute que tout ce qui brille n’est pas or. C’est ce que montrent les gueux, lorsqu’ils s’accrochent à l’idée qu’un salaire apporte une richesse insoupçonnable. Beaucoup y croient. C’est cette croyance qui les rempli de mépris à l’égard de ceux, comme moi, qui refusent de reconnaître ce mensonge, qui refusent de s’avilir un peu plus encore dans les marécages de la soumission. Mais, c’est aussi que, face à leur perdition, la désinvolture apparente que je me retrouve à adopter, les agresses terriblement.

Nous vivons d’un formidable système de croyance, emporté par l’idée que la richesse est un mérite. Je dis « Nous », pour dire les salariés, c’est-à-dire les gueux qui s’ignorent comme tel. Leur ignorance me condamne à l’impuissance. C’est certainement la raison de fond qui me les rend détestables.

Puiser dans la vie la sève de l’enthousiasme… Voilà qui m’oppose au point de vue des gens qui se situent à gauche, et jusqu’à ceux qui s’autoproclament révolutionnaires, non seulement parce que ces gens ont un programme à proposer, alors qu’il faut les dissoudre tous, mais également parce qu’ils ont un monde à sauvegarder, alors qu’il s’agit de le renverser. Je ne combats pas un monde parce qu’il coure à la catastrophe, et qu’il m’entraîne dans cette catastrophe, mais un monde qui ne m’invite pas ; un monde qui me dédaigne ; un monde de riche qui m’écrase de misère. Ma révolte est entièrement contenue du mépris permanent qui m’est servi comme seul programme possible qu’il m’est donné de vivre. Et je trouve cela profondément injuste.

Avoir pour tout bagage que la faculté de ne constater que des dégâts m’épuise. Et aujourd’hui plus qu’auparavant, je me sens physiquement épuisé. Certes, le problème de la santé n’y est pas étranger, mais ce n’est qu’un prétexte qui prend la place lorsque aucun avenir n’arrive à se dessiner. On ne meurt pas de maladie ; on meurt de n’être pas compris ; on meurt de solitude ; on meurt de soif, dans un désert d’abondance.

16 octobre 2005
Gilles Delcuse

 

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