DE LA PAIX


Un terrible contre sens nous fait confondre l’état de paix avec celui de la domestication ; autrement dit, il y a une confusion entre la paix véritable qui est établie sur la cordialité, et l’organisation sociale hiérarchique qui nécessite la pacification des esprits pour perdurer.

Contrairement à ce qu’il est dit habituellement, les démocraties modernes ne connaissent pas la paix, mais la loi. La loi est un système d’obéissance fondé sur la peur et le chantage, tandis que la paix est fondée sur la liberté, c’est-à-dire tout le contraire de la peur. La paix véritable est la conséquence de l’entente entre des parties, et non l’obéissance à un ordre établi.

La paix n’est pas un état de faite, mais la conséquence d’un dialogue qui porte sur le partage des richesses. Nous sommes donc loin, dans les démocraties modernes, d’avoir établi une paix durable sur ce principe. Le maintien de la paix actuelle est fondé sur la séparation des individus entres eux ; et la peur de tendance paranoïaque qu’un tel éloignement ne manque pas de provoquer, est alimenté par le discours dominant qui nous plonge dans des images d’horreur que le terrain de la guerre militaire, c’est-à-dire contre révolutionnaire, produit. Il est intéressant de noter que les armes de destruction massive sont produites par les démocraties modernes grâce au concours des salariés, par l’imposition de leurs maigres ressources. C’est pourquoi il y a abus de langage à parler de paix sur le terrain où le travail salarié sert le fonctionnement d’usines de production d’armes de destructions massives. C’est un abus de langage de parler de paix, de paix véritable basée sur l’entente cordiale, dans les pays où le budget de l’armée est le plus élevé des budgets accordés aux divers ministères. C’est un abus de langage de parler de paix dans un pays qui gouverne par l’usage de la peur et la menace permanente du joug de l’autorité. Et cet abus de langage est dû à la confusion entre l’idée que l’on se fait de la paix véritable fondée sur la liberté, et la pacification forcée fondée sur la domestication. La domestication éloigne du sens des responsabilités, du sens de l’usage véritable de la vie, en maintenant les individus dans l’illusion du contraire par le renforcement du système de la culpabilité, système par lequel est fondé un Etat.

Nous ne vivons pas un état de paix durable, mais un état de soumission permanent.

Ce que l’on accepte de la paix, paix que l’on n’a pas choisie, c’est l’idée qu’elle est un confort, en opposition avec la guerre, guerre que l’on ne choisi pas et que l’on identifie à l’horreur. Il ne nous vient pas à l’esprit que la paix que nous subissons est tout autant meurtrière et atroce que la guerre militaire, parce que la mort qu’elle engendre, et qui nous est dérobée, nous est resservie de manière aseptisée. L’organisation sociale de la paix engendre une mortalité recouverte sous l’apparence des accidents, des maladies et des suicides, c’est-à-dire ce qui induit une fatalité dont est seul responsable l’individu, mettant en cause son hygiène de vie, et son inconscience des facteurs de risque, alors même qu’on ne saurait parler de conscience et d’hygiène lorsque la moindre décision, décision véritable aux effets concrets, est dérobée à la volonté des individus par un arsenal médical, judiciaire et ecclésiastique.

Il ne semble pas venir à l’esprit que les idées qui ne sont suivies d’aucun effet sont le produit d’individus qui n’ont aucun pouvoir de décision, que leurs avis ne sont que des simples opinions, c’est-à-dire d’idées qui n’engendre rien, d’idées stériles. C’est pourquoi la libre expression des opinions est garantie par la constitution biblique qui forme le socle idéologique qui justifie l’autorité des démocraties modernes, la fameuse liberté d’expression que garantie la constitution des USA. Voilà une liberté au nom de laquelle tout peut se dire puisque rien n’est suivi d’effet. Il semble qu’à défaut de la chose, l’idée que l’on s’en fait suffit, et que cela garanti le bonheur que notre soumission installe. Ceci est un grand progrès, du moins pour ceux dont la soumission est un confort, parce que pour les autres, ceux qui n’arrivent pas à s’y insérer, à y trouver une place aussi humble soit-elle, tous les laissés pour compte, les SDF privés d’EDF, les mendiants en grande dépendance d’ANPE, les sous-salariés du RMI, les mères célibataires privées de leur féminité, et pour d’autres privés même de définition puisque privés de papier prouvant leur identité, il reste l’humiliation, la malnutrition, la dégradation, la répression, la prison… Dans ces conditions, parler de paix est pour le moins insultant.

La paix orchestrée par les démocraties judéo-chrétiennes cache un système de domestication derrière la seule forme de liberté qu’elles conçoivent, la liberté de consommer des marchandises grâce à la liberté dite du travail, et uniquement à heure ouvrable, dans les limites que la loi impose. On comprend, dans ce cas, que les pauvres jouent au Loto. L’espoir de devenir milliardaire, dans ce monde, est le seul espoir sensé. L’espoir de consommer librement dans le monde, est le seul projet qui a véritablement un sens. Le seul pour lequel chacun cherche un travail, cherche à gagner toujours plus d’argent. La véritable ambition que l’on rencontre dans le travail n’est pas la reconnaissance sociale de cette activité, ni l’amour, ni rien de ce qu’on entend benoîtement par humanité, mais l’élévation sociale que cette activité permet avec un salaire conséquent, à condition que le patron ne décide pas, un jour de grande clarté, de s’enfuir avec ses capitaux afin de jouir d’une vie autrement plus délicieuse, à défaut d’être respectable, à l’étranger, là où la main d’œuvre est bon marchée, hors de l’oppression permanente des syndicats pour lesquels seul le travail est une valeur. Car, pour un patron, ce n’est pas le travail qui est une valeur, mais l’argent que le travail produit. Pour un patron, l’essence du travail, c’est le bénéfice qu’il rapporte ; pour le salarié, c’est la justification de la vie.

Le travail est cette activité très spéciale qui ne produit que de l’argent. Les marchandises que le travail produit ne sont que les moyens de faire toujours plus d’argent. Le travail n’est donc pas une activité humaine fondée sur la solidarité ni sur la générosité, mais sur l’ambition égoïste où seule la loi de la jungle est respectée à défaut d’être approuvée. Et l’Etat est la police dont le rôle consiste à mettre de l’ordre dans ce désordre apparent en limitant la casse. L’Etat est le garant du système de l’argent par l’organisation de la paix qu’il impose, ou de la guerre qu’il produit, afin de maintenir ce système de la servilité, non l’ennemi des capitalistes, ni le garent de l’existence des travailleurs et de leur bien-être.

L’enjeu est la critique du travail, et non la justification et la protection de la pauvreté. Et cette critique se joue, bien évidemment, sur le terrain de la guerre. Mais, pas n’importe quelle guerre, la guerre sociale dont l’objet est l’émancipation des individus. Mais, pour qu’une telle guerre ait lieu, il faut ressentir une grande frustration, une violente injustice. Il faut nécessairement qu’apparaisse à nos yeux éteints, la lueur éblouissante de la richesse qui nous est confisquée de la vie. Il faut qu’apparaisse, à nos yeux éteints, le vide absolu de la réalité de la vie ; ce vide absolu que l’on confond si honteusement avec la paix. Il faut que, tout à coup, l’intelligence nous monte au nez de manière aussi foudroyante que la moutarde de Dijon. Il faut en finir avec la Pax Romanus.

La paix que nous vivons est celle figurée par l’asile psychiatrique. Le monde moderne, avec ses maquereaux et ses pétasses, est un système d’enfermement tout à fait similaire à l’enferment psychiatrique, où la loi est appliquée pour le bien des patients – devinez de quel bien il s’agit – et où on fait croire que le travail est une activité saine qui aide à l’émancipation des êtres humains, alors qu’elle est une activité délirante qui ne produit que de la dépendance, de la soumission, de la peur, de la mort.

La pacification des pays dominés par le nihilisme démocratique, que Nietzsche dénonça avec vigueur, est la condition des guerres dans les régions dominées par les colons nihilistes. Les guerres orchestrées dans ces régions du monde, sont la garantie de la paix dans nos contrées dominées par le nihilisme marchand. La paix d’ici est un nihilisme, et non la condition de l’évolution de l’humanité. Elle est une négation de la vie, non son épanouissement. Et c’est cette négation qui provoque ailleurs la famine et des guerres de type impérialiste, et ici du mépris et de la misère. C’est pourquoi il revient aux cyniques et aux naïfs positivistes de la revendiquer, pour des raisons diamétralement opposées, mais dont les conséquences restent désastreuses, les premiers, du fait de leur égoïste programme, les second à cause du refus de vouloir ruiner le programme des premiers par la crainte de tomber dans pire, alors même que le pire est déjà atteint, s’imaginant pouvoir convaincre par le dialogue avec un programme qui refuse l’égoïsme. L’intention est louable. Et elle n’est que cela.

Une paix durable n’a de sens que sur l’établissement de l’humanité, c’est-à-dire l’idée que nous nous faisons de la richesse, et non sur la crainte d’engager le débat sur les moyens de parvenir à cette richesse, parce que un tel débat engage inévitablement une lutte sans merci. Car, enfin, croyez-vous sérieusement que les capitalistes vont abandonner leurs privilèges après avoir discutés avec les gueux du bien fondé de leur raison ? Croyez vous qu’ils vont abandonner leur religion nihiliste pour les beaux yeux de tous les pauvres ères qui y sont soumis, dans une ultime B.A. qui aurait le tord de les desservire?

La vérité du refus d’engager une lutte est dans la crainte de perdre notre misérable vie. Certes, elle est misérable, cette vie. Mais enfin, c’est la nôtre. Elle est pleine de lâcheté, de couardise, de méchanceté, d’ignominie, d’égoïsme…Mais elle reste irremplaçable. A défaut de vivre, ne pas mourir nous semble un bon programme.

La paix du capital, c’est le nihilisme de la vie.


Le 9 Août 2004, à 17 :51


 

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