Où allons-nous ?
Où devons-nous aller ?
Où voulons-nous aller ?

Le monde vieillit. Et, il vieillit mal. Il vieillit dans l’enfantement de la misère et de l’horreur. Partout il étend les marécages de la pauvreté absolue sur le sentier de l’insatisfaction marchande, et cela engendre la folie, parce que l’insatisfaction ne sait bâtir le monde que sur les cendres de l’espoir, là où plus rien ne pousse. Et cela se sent. Le monde sent la hideuse odeur de l’insatisfaction, comme les égouts régurgitent l’odeur fétide de leurs entrailles.

Malgré tout, les idées émergent, bien que difficilement, à travers les rencontres que le temps arrive quand même à définir. C’est difficile. C’est difficile parce que l’insatisfaction ne se saisit d’abord que sous l’angle particulier de l’individu, isolé de son rapport à l’autre, et s’exprimant en dehors des seuls rapports reconnus, les rapports marchands. C’est pourquoi l’individu recherche ces rapports. Et l’accès lui en est fourni par le travail. Dans le travail, l’individu cherche son humanité. Et il la trouve, mais comme abstraction, comme richesse qui lui échappe sans cesse par son activité, et qui est la production de marchandise. Dans cette activité, l’individu ne travail pas pour lui, mais pour un monde qui lui échappe totalement, de sorte qu’il se retrouve obligé de travailler. Par cette obligation, l’individu perd sa faculté d’être libre pour celle du devoir qui lui est payé sous forme, le plus souvent de salaire. Et ainsi, il se retrouve esclave d’un monde, celui qui produit des marchandises que son salaire sert à consommer. Le moment qui peut échapper à cette condition se trouve cristallisé par la rencontre. La dedans, l’idée de la suppression de cette condition peut émerger à l’esprit.

A travers les rencontres, l’insatisfaction peut trouver le terrain sur lequel elle peut être supprimée, parce que les émotions particulières qu’elles suscitent peuvent parvenir à la cohérence contenue dans le projet qui les a rapprochées. Cette cohérence se traduit par la subversion totale des conditions actuelles imposées à la vie ; conditions que le monde puissant des marchandises impose comme unique critère qui établi sa vérité partout, au mépris de toute conception qui n’entrerait pas dans sa vision des choses. Le programme qui résulte de cette vision des choses, amène sensiblement l’humanité vers la catastrophe. C’est pourquoi, il devient urgent d’en discuter.

Cependant, le temps finit de nous presser, parce que le monde des marchandises le compresse. Le temps se fait plus opaque à mesure que les jours passent. C’est pourquoi, il nous faut trouver le terrain efficace de la critique avant que l’opacité ne gagne totalitairement les esprits. En somme, il devient urgent de poser la question historique de la décision, et bien que la crainte de perdre plus encore que ce que l’on a, paralyse les esprits plus efficacement que le désir de briser la force de la soumission à la conception autoritairement admise du monde.

La marchandise, comme concept reliant les êtres humains entre eux, les relie, mais dans la séparation, de sorte que tout le monde est éloigné de chacun par la méfiance, le mépris, la jalousie, l’orgueil, la convoitise…Et sont reliés identiquement comme consommateur des mêmes marchandises publicisées partout de la même manière.

La marchandise réalise la matérialité de l’idée qui réunit les êtres entre eux, mais elle les réunit par l’hostilité de chacun à la richesse qu’elle possède par sa valeur, et qui se traduit par l’argent. L’argent est la seule force matérielle qui est à la fois le moyen et le but de l’humanité, en opposition farouche avec la force mystique qu’évoquent les religions, parce qu’elle possède, elle aussi, le moyen et le but de l’humanité. La force de chacune est constituée par la croyance en leur valeur distincte. Mais, c’est l’argent qui possède la force d’échanger dans la pratique les sentiments que nous éprouvons pour les satisfaire, parce qu’il possède l’idée de liberté. L’argent est la seule idée qui a confisqué la liberté, pour la resservir sous forme parcellaire et déformée, de sorte qu’elle apparaît comme un bien particulier plutôt que comme richesse universelle, et qui oblige chacun a respecter la part de liberté qu’il revient à l’autre, afin de jouir dans ses limites, de la sienne. La matérialité de cette idée se traduit par l’appropriation, en opposition farouche avec le partage. L’argent est l’idée que se font les humains de la liberté, mais non la liberté elle-même.

L’argent est une idée purement idéaliste qui s’impose comme principe objectif. Comme tel, il contient l’idée de la richesse absolue, c’est-à-dire une richesse abstraite inaccessible. Sous forme particulière, il se manifeste comme propriété privée qui exclut tout ce qui ne convient pas à son épanouissement, et dévore le reste, de sorte que ceux qui en sont privés restent dans la misère, et les autres se retrouvent dans la nécessité d’en faire l’usage le plus approprié à l’idée qu’ils se font de la richesse, et qui se traduit par de l’investissement permanent et en constante augmentation, selon le principe que l’argent appelle l’argent. La liberté contient l’échange des richesses que l’argent s’est accaparé comme idée abstraite, qu’en retour il reverse sous forme de marchandise, de sorte que, dans ce monde inversé, est libre celui qui possède beaucoup d’argent.

La marchandise n’est pas par elle-même l’idée de l’échange ; elle la possède seulement comme richesse abstraite, l’argent. L’argent n’est pas une marchandise particulière, mais sa valeur. C’est cette valeur qui contient l’idée de l’échange, et qui est la richesse qui réuni les humains entrent eux, parce que l’échange est l’expression même de la liberté. L’argent contient l’idée de la liberté comme principe d’échange, et la marchandise contient l’idée de l’échange comme pratique qui domine le monde. C’est ce qui s’appelle l’aliénation.

L’argent, par sa force d’attraction, supprime toutes les idées qui lui sont étrangères, pour ne conserver que celle qui la lie à son produit : le salariat. Le salariat est la seule activité qui trouve sa réalité parce qu’il produit d’abord de l’argent. Et il le produit sous la forme de marchandise, laquelle est devenue l’ennemi intime des salariés eux-mêmes par cela qu’elle enclenche un processus incontrôlable de pollution qui remet en cause le diagnostic vital de l’ensemble des espèces, de sorte que toutes sont menacées, à commencer par l’espèce humaine. Le salariat ne crée pas de liberté, mais seulement son rêve, sous forme d’échange avec des marchandises particulières. L’idée que possède le monde, n’est pas celle de la liberté, mais celle de la valeur de l’argent, et qui est le monde de la division.

Le silence des gens dans la rue, qui trahit la difficulté des rencontres, est la question centrale, parce qu’il est le produit de la division entre le désir de jouir de sa vie sans attendre, et l’obligation de la gagner dans l’astreinte et l’asservissement. Et le travail est cette activité spéciale qui permet de gagner de la vie sans d’autre but que de la répéter inlassablement. Et nous nous persuadons du bien fondé de cette étrange activité, lorsque nous en sommes privés, par l’inquiétude de voir sa vie s’effondrer dans une misère que le salariat dérobe à la conscience. De ce fait, on identifie le salariat à la liberté, puisqu’il permet de maintenir une apparence que l’on compare, sinon à de la richesse, du moins à une sorte de bien être plus près de l’idée de se protéger de l’effroi que de celle de flirter avec le luxe. C’est pourquoi la liberté est un luxe que le salarié ne peut pas connaître. La liberté est la conscience de la vie, et non un devoir ni un mérite.

La conscience n’est pas une donnée qui va de soi. La conscience est ce phénomène qui émerge des émotions, et qui traduit la réelle violence qu’une situation a provoquée, parce que les circonstances se trouvent réunies pour la faire émerger. Moment rare qui s’inscrit dans l’histoire. Aujourd’hui, à peine émergée, la conscience s’enlise dans des banalités, et se retrouve orientée dans une fausse direction qui la renverse en fausse conscience, comme on colmate une brèche en espérant que rien ne s’écroulera, faisant croire que le problème est résolu, alors qu’il n’est qu’un symptôme. Et, c’est ainsi que les émotions se neutralisent. L’affectif reconduit l’indulgence et le formel ; et la rigueur s’en trouve bien vite oubliée. C’est pourquoi il faut trouver le moment où

Etre émus ensemble,
c’est rencontrer la penser de sa pratique,
avec la pratique de sa pensée.

Après tout, que veut signifier l’objet de la rencontre, sinon que celui-ci doit tout d’abord, se saisir de ce qui l’anime, et qui devrait se traduire par se réapproprier les armes de sa pratique, si nous voulons lui donner un sens, celui de la pratique des armes de sa critique ?

La rencontre ne se traduit pas par une positivité amicale, comme celle que l’on trouve dans les clubs de pseudo-joueurs, mais est ce qui échappe à l’entendement ordinaire parce qu’elle est une prétention. Rencontrer quelqu’un, c’est le rencontrer avec la cohérence de sa propre pensée, afin d’en faire surgir de l’émotion. C’est pourquoi la rencontre doit pouvoir pénétrer la cohérence de la théorie, en faire éclore la cohérence des émotions. Cette tâche, il semble qu’elle revient à l’esprit critique, seul capable de transformer la positivité immédiate de la rencontre en négatif de son objectivité, et de l’affirmer radicalement par sa subjectivité retrouvée.

L’obstacle majeur de la rencontre entre les individus est l’argent, c’est-à-dire le travail que l’argent impose pour que l’animalumain puisse s’en approprier une partie, en contrepartie du temps qu’il lui sacrifie. Et cela parce que l’argent est la richesse qui stationne en permanence dans la tête par défaut d’être présent dans la poche. Par ce défaut, l’argent est l’ennemi absolu que ses défenseurs imposent avec condescendance là où la pacification est établie, et avec brutalité là où ils rencontrent une résistance incrédule, avec une abondance toute relative là où la consommation est le mode essentiel des rapports humains, et avec une grande rareté, là où la guerre est le jeu excessif qui détermine les relations humaines.

Jusqu’à maintenant, la seule pensée capable de combattre l’hégémonie de l’argent, est une pensée hégémonique, celle de la croyance en un dieu absolu qu’évoquent les religions monothéistes, et que ses adeptes invoquent dans la soumission à cette pensée, non sans contradiction, parce qu’on ne peut pas évoquer l’absolu sans l’annuler du même coup.

Cependant, aujourd’hui l’argent est la seule idée qui pratique l’humanité, mais il la pratique à travers les marchandises. Il est la seule idée admise dans ce monde, qui se traduit par l’immobilisme des idées, parce qu’il suffit d’en contempler ses manifestations. Le lieu où l’argent est le plus répandu et qui connaît la plus grande fidélité à ses principes, est aussi celui où la marchandise est la plus répandue, dans ses variantes les plus spectaculaires : les U.S.A.

L’argent est l’effort de l’ennemi, c’est-à-dire celui qui s’en est approprié l’essence, et qu’il traduit par la valeur, pour s’approprier, non pas seulement le sol, mais également l’âme de l’humanité. Et il le fait sans scrupule. C’est pourquoi partout où peuvent émerger des émotions et la critique qu’elles provoquent, l’ennemi se montre intraitable, et s’impose avec la plus grande rigueur par le mensonge et le sang.

Alors, maintenant que plus rien ne va de soi,


Il convient de transformer
Nos émotions particulières
En liaisons dangereuses.

 

 

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