PASSE TON BAC D’ABORD
(Lettre ouverte aux parents qui croient en leur rôle)
Que de tourment, la jeunesse a le secret envers des parents désorientés, face à leurs études si peu séduisante… Car, il faut admettre que la relation des parents avec leur progéniture, se résume bien souvent à l’injonction presque terroriste du « Passes ton Bac d’abord ! ». Tous ces parents qui s’imaginent que leur boussole indique la bonne direction, alors qu’elle n’est que leur boussole à eux, qu’ils orientent vers la direction qui leur apparaît la moins catastrophique. Mais, que sont les études, sinon une ambition ; non les moyens de faire sa place dans la société. Lorsque j’étais jeune, je voulais faire de vrais études ; pas un BAC, mais aller au moins jusqu’à un doctorat. Je ne voulais pas gagner ma vie, mais la comprendre. Et aujourd’hui, je n’ai pas changé. Le célèbre « Passes ton Bac d’abord » m’a toujours semblé une injonction insultante, méprisante. Non, ce n’est pas le Bac qui importe, mais de comprendre le monde, la vie, les choses. La vie n’est pas quelque chose qu’il faut faire. Faire quelque chose de sa vie, ça n’a, à mes yeux, aucun sens. La vie est une donnée. Le moindre insecte est vivant. Alors, que peut bien signifier l’acquisition d’un diplôme, si ce n’est pour être vendable sur le marché des entreprises, se donner les moyens de faire de son cul, un objet de convoitise sanctionné par un salaire légèrement supérieur à la moyenne…Afin, sans doute, de rentrer dans le rang ; d’être comestible dans l’assiette d’un exploitant. Belle confiance que l’on accorde à nos désirs ; bel enthousiasme que notre copulation a transformée en procréation ; bel avenir que l’on réserve à sa progéniture…
De l’école au Bac ; du Bac au salariat, la route est déjà rôdée…N’y aurait-il pas une autre perspective, autre chose, peut-être plus aventureux, mais oh combien plus enthousiasmant ? Car, franchement, trouver que la situation de salariée est plus confortable et plus enrichissante que celle de celui qui la refuse, ou que l’acquisition d’un niveau scolaire sanctionné par un Bac est plus sécurisante que l’école buissonnière, et apporte des possibilités interdites en deçà de cette épreuve, c’est confondre l’ambition avec la sécurité, le désir avec la nécessité. C’est définir la vie sous l’angle de l’angoisse, et réduire le temps à la nécessité d’une fonction. Aux yeux du salarié, ce qu’il y a de scandaleux dans ce qu’il identifie au chômage, c’est le temps ; ce temps sans usage apparent, dont peut jouir celui que l’esprit de culpabilité voudrait enfermer dans un rapport de soumission, et laisser accroire que ne pas être salarié, c’est se complaire dans la fainéantise. Ne pas oublier que la fainéantise est une qualité qu’on ne peut rencontrer que chez ceux qui en ont le moyen, les gens riches pour lesquels, justement, travaille une armée de salariés. Ceci est l’autre versant du salariat : on ne travaille jamais pour soi. On travaille toujours pour une autorité, pour l’enrichir, et ainsi, la rendre inaliénable, s’en rendre dépendant. C’est pourquoi, le travail ne rend pas libre. Le travail est un poison bien pernicieux qui rend addict et supprime toute idée qui pourrait venir le contrarier. L’individu, hors de ce moyen, finit par ne plus savoir comment vivre. Le travail devient le seul modèle possible d’existence ; le seul critère déterminant.
Résister à la soumission du labeur salarial, c’est retrouver du temps. Non ce temps libre que les économistes distinguent comme un temps sans travail, c’est-à-dire mort, mais le temps dans toute sa réalité, dans toute son étendue. Posséder son temps, l’avoir pour soi, pour soi dans le partage, me paraît une richesse infiniment supérieur à l’argent. Et ce ne sont pas les gens qui possèdent vraiment de l’argent qui peuvent me contredire sur ce sujet, eux qui font travailler les autres pour leur égoïste jouissance. Le temps est le bien le plus précieux. L’argent est le moyen d’en faire quelque chose. Le travail est le moyen de l’anéantir. Il y a une incompatibilité entre l’argent et le travail. Ne travaille qui n’a pas de temps ; qui ne le trouve qu’à le consacrer essentiellement au travail. Beau cadeau que font les salariés aux riches. En gros, le chantage entre patron et salarié se résume à du « Je t’offre ma vie, et tu me donne à bouffer ». Belle ambition…
Alors, m’objectera-t-on, que proposez-vous ? Et bien, la réponse est tout à la fois facile à dire, et très difficile à faire comprendre : Rien ! Je ne saurais proposer quelque chose que j’ignore. Que proposer ? La liberté. La liberté, c’est-à-dire précisément ce qui n’existe pas. C’est précisément parce que la liberté n’existe pas, qu’il est impossible de plus la préciser. La liberté n’est encore qu’un projet. Si la liberté était un état de fait, cela se saurait. Qui n’y trouverait son plaisir à le partager… Comment partager quelque chose dont on est démunie ?
Je ne saurais proposer quelque chose de positif de ce qui est inconnu, mais seulement résister à ce qui est négatif. La résistance n’est pas un programme, mais un refus. Refuser d’aller bosser comme un chien pour un plat de nouilles me paraît être un bon programme. La vie n’est pas un livre écrit à l’avance, mais un chemin que l’on découvre à chaque pas. Et tant pis si le chemin est plutôt casse-gueule. Je préfère les chemins tordus aux autoroutes aseptisées. Naturellement, c’est plus risqué et nettement moins présentable en regard des valeurs sociales, mais ce parcours me paraît infiniment plus riche que celui de salarié à vie. Parce que le salariat, c’est quand même une condamnation à vie, une négociation permanente entre les désirs toujours frustrés par la nécessité de devoir vivre afin de ne pas mourir, et l’envie de ne pas mourir afin de vouloir vivre.
Je sais bien que l’idéologie dominante calomnie le refus de travailler. Tout y passe. Etre traité d’irresponsable, d’esprit infantile, de mendiant… Je connais le vocable par cœur. Mais, le salarié est privé de responsabilité et mendie son salaire… Quant à son esprit… Passons ! Le salariat est une addiction, et non un moyen de vivre librement. Le salariat est une dépendance qui fait croire rendre indépendant celui qui y est soumis. Mais, à la différence d’une drogue, on ne se débarrasse pas du salariat, on rentre en résistance ou on s’exécute.
Mais, alors, quoi ? Quel avenir pour les jeunes gens dont l’ambition se heurte au mur de la raison sociale ? Que pourrait-on bien trouver en dehors du salariat ? La prison, peut-être ? Ah, je voie d’ici l’angoisse des mères, dont la vocation, toute à leur honneur, est de chercher à protéger leur marmaille de ce qui s’annonce comme une misère imprescriptible. Mais, c’est justement ce sentiment de peur, ce sentiment que produit l’instinct de soumission, ce sentiment qu’impose l’instinct de protection, qui bloque l’espoir et l’imagination dans le carcan de la raison ordinaire, et veut croire que la soumission est la garantie d’un bonheur, alors qu’elle ne saurait pas même protéger du malheur.
Protéger sa marmaille pour lui éviter le malheur est le plus sûr moyen de le lui apporter, parce qu’il agit comme un enfermement. La crainte d’une situation que la société juge comme instable, ne doit pas impliquer de cadenasser l’avenir. Et les ressources de la jeunesse sont infiniment supérieur aux illusions des parents que leurs responsabilités a rendue vieux avant l’âge.On oubli vite les idées de sa jeunesse, lorsqu’on se disait que l’avenir n’est qu’une illusion ; on oublie vite nos propres parents, avec leurs conseils qui ne faisaient que projeter leurs envies sur leurs mômes, plus qu’ils ne voulaient les écouter et les comprendre. On est vite formaté. On ne se rend plus compte que tout ce que propose cette société, c’est de la camelote. Alors, on finit par avoir peur ; peur pour l’avenir de ses mômes ; peur pour nous, en réalité. Il est vrai que ce n’est pas évident de comprendre que l’avenir n’est qu’un fantasme, et que le passé ne saurait servir de leçon. Pourtant, les mômes sont là pour le rappeler à leurs parents, ces oublieux qui ont troqués la poésie de leur jeunesse pour la nécessité de leur réalité. « c’est bien beau, tout ça… » Ah ! comme je connais bien la morale qui se cache derrière… Mais, qu’y a-t-il derrière les diplômes ? Une assurance vie, une thérapie pour parent angoissé, un compte avec intérêt? Caser sa marmaille entre un patron et un mariage… Juger de ce qui est bien ou beau, contre l’horreur des rencontres (évidemment sexuelles) et de la zone ? Il faut, paraît-il, rester les pieds sur terre, être réaliste. Il faut sauver la morale. Car, c’est bien de morale dont il s’agit. Etre réaliste, c’est être respectueux de la morale. Car, tout de même, qu’y a-t-il de réel en dehors de ce qui est admis, en dehors de ce que la morale reconnaît ? les diplômes, le travail, l’accouplement normalisé, voilà, en gros, ce que l’on désire secrètement mais ardemment, à notre progéniture. On ne saurait lui souhaiter meilleurs avenir, puisque c’est la garantie de le lui interdire ; car enfin, quelle confiance pourrait-on accorder, à ces jeunes si tumultueux et si irresponsables ? Notre misérable expérience aurait elle finie d’éteindre le peu de lueur que l’on s’autorisait alors que notre jeunesse rimait encore avec espoir ? Parents, demandez-vous où vous en êtes vous mêmes ; demandez-vous si c’est une bonne idée de tenir un tel rôle ; demandez-vous si, être parent ne rime pas avec enfermement ! Peut-être, alors, cesserez-vous vos injonctions dont tout l’effet renforce un conflit plus qu’il autorise un dialogue.
Alors, fiston, passe ton Bac d’abord ?